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courtoisie qu’on trouve chez les joueurs. Il n’était pas rare qu’un seigneur prêtât à ses prisonniers armes et chevaux et leur permît d’aller se battre au loin, dans l’espoir que la fortune leur serait favorable et leur permettrait d’acquitter un jour leurs dettes. Vers le milieu de l’année 1367, un grand nombre de Français et de Castillans, prisonniers de Najera, se trouvaient libres, avaient remonté leurs équipages et se rendaient auprès de don Henri, brûlant du désir de réparer leurs pertes. Ce prince avait transféré sa résidence au château de Pierre-Pertuse, nouveau don du roi de France, sur la frontière du Roussillon, et chaque jour il y voyait arriver quelques-uns de ses anciens compagnons d’armes. Pendant qu’une petite armée se rassemblait au nord des Pyrénées, plusieurs soulèvemens se déclaraient dans l’intérieur même de la Castille. En Estramadure, le fils de l’infortunée doña Urraca et le maître de Saint-Jacques, don Gonzalo Mexia, s’étaient fortifiés dans la ville d’Alburquerque, et de là faisaient dans toute la province une guerre de partisans redoutable. Leur exemple fut bientôt imité par d’autres riches-hommes et par des communes importantes. Ségovie et son Alcazar, forteresse admirable, arborèrent l’étendard de don Henri, ainsi que Avila et quelques autres villes de la Castille vieille. Aussitôt après le départ du prince de Galles, Valladolid et une partie des provinces basques, irritées par les excès de l’armée anglaise, s’insurgèrent contre don Pèdre, qu’elles rendaient responsable de leurs maux[1]. Un assez grand nombre de prisonniers de Najera, rentrés en Espagne, armaient leurs vassaux et annonçaient le retour prochain du prétendant. Enfin les Anglais, eussent-ils voulu tenter une nouvelle intervention, allaient avoir assez d’occupation du côté de la France. On publiait que les trêves allaient être rompues ; déjà des bandes nombreuses d’aventuriers, excitées et payées par Charles V, faisaient des incursions en Guyenne, et le prince de Galles ne songeait plus qu’à se mettre en mesure de faire respecter ses propres frontières.


II.

Don Henri crut qu’il ne fallait pas laisser refroidir le zèle de ses amis. Après une conférence tenue à Aigues-Mortes avec le duc d’Anjou et le cardinal de Boulogne, assuré de la protection et de l’assistance de Charles V et du pape, pourvu par eux d’une somme d’argent considérable, il rassembla, vers le milieu d’août, tous ses partisans et se mit en marche pour rentrer en Espagne. Il n’avait encore que 400 lances, mais cette petite troupe se composait d’hommes d’élite, castillans, français et aragonais, commandés par le bâtard de Béarn, le Bègue de

  1. Ayala, p. 506 et suiv.