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Villaines et le comte d’Osuna. Elle suffisait pour son escorte jusqu’à la frontière de Castille ; là il devait trouver une armée capable de lui conquérir un royaume, ou bien une mort glorieuse, digne d’un chef de désespérés. Voulant prouver à ses compagnons qu’il était résolu de tout sacrifier au succès de son entreprise, il emmena avec lui sa femme et son fils et ne laissa dans le château de Pierre-Pertuse que sa fille et un assez grand nombre de dames qui auraient trop embarrassé sa petite expédition.

Pour pénétrer en Castille, il lui fallait nécessairement traverser le territoire aragonais. J’ai déjà fait connaître quelles étaient les dispositions de Pierre IV depuis son alliance avec l’Angleterre ; mais, si la cour de Barcelone se montrait contraire au prétendant, tout le peuple et une partie de la noblesse faisaient ouvertement des vœux pour le succès de son entreprise. L’oncle même du roi, l’infant En Pere[1], secondait ouvertement les desseins de don Henri et l’engageait à s’avancer en assurance. A la nouvelle des préparatifs qui se faisaient à Pierre-Pertuse, le roi d’Aragon envoya signifier à don Henri que son alliance avec le prince de Galles l’obligerait à considérer comme un acte d’hostilité toute tentative pour passer sur ses terres. Sans tenir compte de cette menace officielle, don Henri se jeta dans la vallée d’Aran[2], passa les Pyrénées sans trouver d’ennemis pour lui défendre les cols, et vint déboucher dans le comté de Ribagorza, seigneurie qui appartenait à l’infant En Pere. Ce prince lui avait envoyé des guides sûrs pour le conduire dans ce pays sauvage et hérissé d’obstacles naturels. En s’engageant sur le territoire aragonais, don Henri écrivit à Pierre IV pour lui rappeler leur ancienne alliance et les services qu’il avait rendus à l’Aragon, services bien considérables, puisque, l’année précédente, son entrée en Castille avait suffi pour obliger don Pèdre à évacuer en un seul jour cent vingt villes ou châteaux dont il s’était emparé. Il promettait de respecter le territoire qu’il était contraint d’emprunter pour rentrer dans ses états ; mais il annonçait aussi sa ferme résolution de repousser par la force toute tentative pour troubler sa marche. En réalité, elle ne fut retardée que par la difficulté des chemins et par quelques démonstrations peu sérieuses des montagnards contre son avant-garde. En arrivant dans le comté de Ribagorza, l’armée castillanne trouva en abondance des vivres et des rafraîchissemens de toute espèce préparés par les soins de l’infant En Pere. Don Henri ne s’y arrêta que le temps nécessaire pour reposer, hommes et chevaux, épuisés par une longue traite. Un peu plus loin, à Estadilla, il traversa les domaines de son beau-frère don Philippe de Castro, riche-homme aragonais que don

  1. Le fils de ce prince, le comte de Denia, créé marquis de Villena par don Henri, était encore prisonnier des Anglais.
  2. Ayala, P. 510, note 1.