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tour[1]. Une autre tentative pour livrer une porte à don Henri n’eut pas plus de succès. Tous les complots tramés en sa faveur étaient découverts et sévèrement punis. D’un autre côté, l’art des ingénieurs était impuissant contre les excellentes fortifications de Tolède. Entourée par le Tage, la ville n’était vulnérable que sur deux points : les tours placées en avant des ponts de Saint-Martin et d’Alcantara. Après avoir long-temps battu et sans effet le premier de ces deux ouvrages, les assiégeans tentèrent de le miner. Le gouverneur cependant faisait construire une forte muraille en arrière de la tour de Saint-Martin, afin de fermer le passage du pont si la tour venait à tomber au pouvoir de l’ennemi. De la rapidité dans l’exécution de ces travaux contraires dépendait le sort de la place. Les mineurs de don Henri, parvenus par une galerie souterraine sous les fondemens de la tour et les étayant à mesure qui ils pénétraient plus avant, la crurent suspendue, pour ainsi dire, au-dessus des excavations qu’ils avaient pratiquées ; ils se retirèrent après avoir mis le feu à leurs blindages ; persuadés que la destruction des étais allait entraîner la chute de tout l’édifice. Le mur que les assiégés bâtissaient à l’entrée du pont n’étant pas encore assez avancé pour offrir un obstacle sérieux, toute l’armée de don Henri s’était formée en bataille au débouché du pont Saint-Martin, attendant avec impatience le résultat de la mine pour s’élancer dans la ville sur les ruines de la tour. Mais les ingénieurs s’étaient trompés dans leurs calculs, et la vieille maçonnerie demeura debout après l’incendie de ses étais. Il n’était plus temps de songer à élargir la mine, car les assiégés, avertis par la fumée qui s’échappait de la galerie souterraine, s’étaient décidés à couper le pont de Saint-Martin. C’était un ouvrage du XIIIe siècle, qui passait alors pour un des monumens les plus remarquables de toute l’Espagne. Malgré les traits lancés par les machines pour écarter les travailleurs, les assiégés enlevèrent rapidement les claveaux de l’arche maîtresse, et la firent crouler dans le Tage[2]. Dès ce moment, perdant tout espoir d’arriver de vive force au corps de la place, don Henri borna tous ses soins à resserrer plus étroitement le blocus. Pour prévenir l’entrée des convois, il augmenta le nombre de ses bastides, et ajouta de nouveaux ouvrages à ses lignes de circonvallation. C’était en quelque sorte une ville nouvelle qu’il bâtissait autour de Tolède. Pressé par le défaut d’argent au milieu de ces immenses travaux, il fit frapper à Burgos une monnaie au-dessous du titre. On appela sizains les nouvelles pièces, parce qu’elles avaient nominalement la valeur de six deniers. Avec ces ressources précaires, alors fort en usage, il solda pendant quelque temps son armée[3].

Les villes du nord de la Castille qui tenaient encore pour don Pèdre,

  1. Ayala, p. 529 et suiv.
  2. Idem, p. 539 et suiv.
  3. Idem, p. 523.