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isolées au milieu de provinces soulevées, n’avaient pas pour se défendre les moyens que la nature et l’art avaient accumulés autour de Tolède. Les conseils de Logroño, de Vittoria et de quelques autres villes de la province d’Alava, s’étant concertés entre eux, écrivirent au roi pour lui demander des secours et pour l’ajourner, selon la pratique du moyen-âge, c’est-à-dire pour lui fixer un délai au-delà duquel ils se croiraient dégagés de leurs sermens d’obéissance. Il paraît que le siége ou le blocus de ces places ne se poursuivait pas avec beaucoup de vigilance, car les envoyés des conseils parvinrent sans être arrêtés jusqu’à Séville. Là, jugeant bien que le roi était hors d’état de conduire une armée dans le nord, ils lui demandèrent la permission de se donner au roi de Navarre, son allié, plutôt que de se soumettre à don Henri. Ils représentaient à don Pèdre que cette cession de territoire déterminerait probablement le roi de Navarre à intervenir en sa faveur. Don Pèdre, avec son inflexibilité ordinaire, répondit en leur enjoignant de se défendre jusqu’à la dernière extrémité ; mais il ajouta que si, la fortune le trahissant, il se trouvait dans l’impossibilité de leur porter secours, il voulait qu’ils se rendissent à don Henri plutôt qu’au roi de Navarre. « Souvenez-vous, leur dit-il, qu’avant tout, il importe que la couronne de Castille se conserve tout entière[1]. » Réponse vraiment royale, et d’autant plus remarquable qu’à cette époque les idées de patriotisme étaient presque inconnues, et que, depuis le souverain jusqu’au vassal, personne ne connaissait d’autre règle de conduite que son intérêt personnel. Dans le triste état de ses affaires, il était beau de soutenir l’intégrité d’une couronne qu’il allait peut-être abandonner à son ennemi mortel. Malheureusement les conseils des villes assiégées ne comprirent pas ce noble langage. Le Navarrais était à leurs portes, prodigue de promesses à son ordinaire, et don Tello, d’accord avec lui, était accouru pour les exhorter à la défection. Toujours bassement envieux, ce prince espérait ainsi s’assurer la protection du roi de Navarre, et d’ailleurs il croyait gagner assez s’il faisait perdre quelque chose à son frère. Logroño, Vittoria, Salvatierra, Santa-Cruz de Campeszo, arborèrent sur leurs murs les bannières navarraises.

L’année 1368 allait finir, et la lutte demeurait encore indécise. De part et d’autre, les succès, les revers se balançaient à peu près également ; mais la misère du pays était arrivée à son comble. L’Andalousie livrée aux ravages des musulmans, l’Alava et la Rioja vendues à l’étranger, partout des villes rançonnées ou mises au pillage, le peuple foulé par les gens de guerre, l’anarchie, la désolation partout, telle était la situation d’un royaume naguère florissant lorsqu’il n’obéissait qu’à un seul maître.

Malgré l’apparente égalité des forces, il n’était pas difficile de prévoir

  1. Ayala, p. 532.