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qu’elles peignent les mœurs du moyen-âge, et que jusqu’à un certain point elles excusent ce qu’il y a de peu loyal dans la conduite d’un homme dont les grands services ont rendu le nom cher à tous les Français. La valeur morale d’une action dépend toujours de l’idée qu’on y attache, et j’aimerais à penser que dans cette circonstance Du Guesclin pût se croire le droit d’user de représailles contre un ennemi qui, par sa déloyauté, avait forfait aux lois de la chevalerie.

A la suite de cette consultation entre les capitaines français, don Henri, informé de tout par Bertrand, commença par l’assurer qu’il se chargeait d’acquitter les promesses de don Pèdre, et qu’il lui donnerait et les seigneuries et l’énorme rançon qu’on venait de lui offrir[1]. Puis il le supplia d’attirer don Pèdre hors du château en feignant de se rendre à ses propositions. Du Guesclin hésita ; ses compagnons se joignirent à don Henri pour vaincre ses scrupules, et cependant les pourparlers et les entrevues mystérieuses continuèrent avec Men Rodriguez. Nul ne peut savoir quelles furent les promesses échangées de part et d’autre, mais il paraît certain que don Pèdre eut lieu de croire qu’il pouvait compter sur Du Guesclin.

Ces négociations duraient depuis plusieurs jours, et déjà le château, encombré de monde, était réduit aux dernières extrémités. Les vivres, l’eau même, allaient manquer ; il fallait ou fuir ou se rendre. Ayala, peut-être témoin oculaire des scènes que je vais raconter, admet que l’infortuné don Pèdre reçut les sermens les plus solennels de quelques capitaines français intermédiaires de Du Guesclin, ou du moins se donnant pour tels[2]. Au reste, du moment que la négociation avait été révélée à don Henri, elle ne pouvait manquer d’être dirigée dans ses intérêts et suivant ses instructions. Or, le prétendant ne voulait pas en venir à une capitulation, car les riches-hommes de son parti n’auraient pas manqué d’en vouloir dicter les articles. Il ne se sentait pas assez puissant pour juger son frère et son roi, et il craignait que le cœur ne faillît à ses propres partisans pour condamner leur souverain et leur légitime seigneur. Suivant toute apparence, les capitaines français ne croyaient pas que la vie du prince qu’ils livraient fût menacée, et je penche à croire qu’ils avaient même fait quelques stipulations à cet égard avec don Henri. Celui-ci, bien résolu à se défaire de don Pèdre, calculait froidement le moyen d’y parvenir. Alors on pouvait tuer un roi, mais on ne le jugeait pas ; il fallait que sa mort fût un accident, une espèce de surprise. Voilà pourquoi don Henri, connaissant la situation désespérée de Montiel, au lieu d’attendre que la famine lui livrât son ennemi, lui tendit un piège à la faveur de ces négociations

  1. Ayala, p. 551.
  2. Ayala, p. 554. — Cfr. avec l’Abrev.