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séductions dès ses premières années, il aima les femmes avec fureur ; mais, à l’exception de Marie de Padilla, aucune de ses maîtresses n’obtint quelque empire sur son esprit. On l’accusa d’avarice, et l’on cite comme preuve le soin qu’il prit toute sa vie d’amasser des trésors, et les pierreries et les sommes considérables trouvées après sa mort dans le château de Carmona. Jamais il ne perdit une occasion d’augmenter les domaines de la couronne, bien différent de son adversaire don Henri, généreux jusqu’à la prodigalité. Je crois cependant que don Pèdre n’eut que l’apparence du vice bas que plusieurs historiens lui ont reproché. A mon avis, il n’aima l’argent que pour le pouvoir qu’il donne. Sa grande passion fut de dominer, et, dans un temps comme le sien, le plus riche était le plus puissant.

La première leçon de politique qu’il reçut fut cruelle. A Toro, il lui fallut racheter sa liberté et sa couronne de ses grands vassaux révoltés. Trahi, à plusieurs reprises, par ceux que son père et lui-même avaient comblés de bienfaits, par ses frères, par sa mère, il devint de bonne heure défiant, soupçonneux, souvent injuste pour ses plus fidèles serviteurs. Sa dissimulation, ses parjures, sont les vices de son époque. C’étaient, si je puis m’exprimer ainsi, les nécessités et peut-être les conditions de la royauté au moyen-âge. Il voulut gouverner seul, et, pour être obéi, il commença par se faire craindre. Il n’y réussit que trop facilement. Mais les grands et les prélats ne se soumirent pas sans résistance au joug qu’il prétendait leur imposer. Toute contradiction le rendait plus absolu dans ses volontés ; il fit une rude guerre au clergé et à la noblesse ; c’était s’attaquer tout à la fois aux ennemis les plus redoutables de la royauté. Le peuple, opprimé par les riches-hommes, vit avec plaisir le pouvoir royal s’élever et s’accroître sur les ruines de la vieille anarchie féodale. D’ailleurs, les rigueurs de don Pèdre n’atteignaient que les grands, et, il faut le dire bien haut, elles frappèrent le plus souvent des traîtres à leur pays et à leur souverain. Il se montra sévère, impitoyable pour les rébellions sans cesse renouvelées par une noblesse factieuse ; mais, tandis qu’il faisait tomber les têtes les plus illustres, le peuple respirait et célébrait la justice d’un maître qui exigeait des grands et des petits une égale obéissance. Au XIVe siècle, un despotisme impartial était un bienfait pour les peuples. Les Juifs et les musulmans, étrangers aux débats politiques qui divisaient la Castille, le bénirent comme le meilleur des maîtres, parce qu’il encourageait les arts, le commerce et l’industrie, et que son despotisme était doux là où il trouvait des esclaves dociles. Lorsque la guerre d’Aragon l’eut contraint d’augmenter les impôts et d’entraîner à des expéditions lointaines les contingens des villes, accoutumées à ne prendre les armes que pour repousser une attaque contre leurs murs, don Pèdre perdit rapidement sa popularité ; et aussitôt qu’une armée étrangère vint dissiper