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continu et sonore comme celui de la grêle sur une toiture[1]. Voilà de l’art ; aussi saviez-vous mieux que personne allumer une salle[2] (car nous vous avons volé jusqu’à cette expression). Dans les lectures publiques, combien de fois fîtes-vous réussir les poètes modestes, qui se défiaient de leurs moyens, en plaçant habilement cette encourageante interruption : σοφώς (très bien !). L’empereur Néron lui-même, — un philanthrope long-temps méconnu, auquel plusieurs de nos historiens commencent à rendre plus de justice, — l’empereur Néron, artiste habile, vous dut une partie de ses succès au théâtre ; il vous avait organisés comme une milice ; vous n’étiez, pas de ces pauvres claqueurs qu’on payait avec un repas, laudicoeni, enrôlés par un misérable entrepreneur (manceps, redemptor) ; vos chefs[3] portaient le beau nom de μεσοΧοροι (placés au milieu du chœur, chefs d’orchestre) ; ils étaient choisis parmi les jeunes chevaliers, et vos masses chorales étaient formées de cinq mille plébéiens d’une jeunesse robuste, robustissimœ juventutis, dit Suétone ; pour eux, une tenue élégante était de rigueur ; ils portaient une longue chevelure, un anneau d’or à la main gauche. Ce devait être un beau concert, un magnifique ensemble, que ces cinq et six mille paires de mains applaudissant, comme un seul homme, dans un vaste amphithéâtre ! D’ailleurs, je laisse à penser si les sénateurs et le peuple qui remplissaient le reste de la salle vous laissaient applaudir seuls ; on sait que l’empereur Néron ne badinait pas sur ce point. Et nous autres, pauvres hères, nous nous flattons d’avoir perfectionné quelque chose, même le ridicule et le scandale ! À Rome, au moins, le scandale était grandiose, le ridicule avait des proportions magnifiques ; il y a là de quoi nous humilier.

Rome sous Auguste est le tableau le plus complet de toutes les turpitudes et de toutes les grandeurs de cette prodigieuse cité. On se plaint journellement que les grands ouvrages nous font peur : je ne sais si ceux qui se complaisent dans ces lamentations ont fait le relevé de tous les ouvrages consciencieux qui ont paru depuis plusieurs années. Le livre de M. Dezobry en particulier est le résultat d’un travail qui eût effrayé la patience d’un bénédictin ; il suffit d’y jeter un coup d’œil pour s’en convaincre. Quelle courageuse obstination n’a-t-il pas fallu pour chercher çà et là dans les auteurs anciens tout ce qui devait composer ce vaste ensemble ! Se rend-on compte de la patience qui est parfois nécessaire pour justifier une phrase, un mot ; des recherches longues et fatigantes qu’il faut entreprendre, pour aboutir, à quoi bien souvent ? A la suppression d’un fait erroné. Et quelle sagacité ingénieuse n’a-t-il

  1. Sénèque, Quest. nat., 11, 28. — Suétone, Vie de Néron, 20.
  2. Nuntiat accensus plena theatra favor.
    Rutilius Nuinatianus.
  3. Suétone dit que les chefs avaient 40,000 sesterces d’appointeinent (6,617 fr.).