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pas Dieu tonner. Cela n’eût pu se dire sur le théâtre de Rome, et je crois d’ailleurs que le mot de Jodelet y eût paru moins vrai et moins plaisant.

Sans doute on peut répondre que ce respect pour la sainteté du mariage était une conséquence forcée des idées aristocratiques des patriciens romains ; que, là où règne le préjugé du sang, il faut que le mariage demeure respecté pour que ce préjugé soit un tant soit peu raisonnable, et que l’orgueil de caste n’est plus qu’une absurdité sans excuse possible là où l’adultère est excusé. Je le veux bien, mais au moins faudrait-il savoir gré aux patriciens de Rome d’avoir été sur ce point plus conséquens que beaucoup de grandes familles au temps de Louis XV, lesquelles, quoique fort entichées de leur préjugé de caste ; se montrèrent parfois assez indulgentes peur les scandales qui devaient nécessairement l’affaiblir, et semblèrent redouter beaucoup moins pour leur maison un adultère qu’une mésalliance. De plus, l’aristocratie romaine ne poussait pas si loin qu’on veut bien le croire le préjugé du sang, témoin l’idée qu’on se faisait à Rome de l’adoption. L’adoption y était infiniment plus fréquente que parmi nous ; elle avait un tout autre caractère, et l’enfant adopté devenait tout aussi rigoureusement le fils de celui qui l’adoptait que l’enfant de la chair et du sang. Sur ce point, les Romains étaient plus spiritualistes que nous.

Mais l’esclavage ? Oui, c’est là l’éternelle honte de l’antiquité. Nous devons le maudire, tout en nous souvenant avec modestie que nous portons encore cette plaie à notre flanc : si le christianisme a adouci l’esclavage, il n’y a pas cent ans que les derniers serfs ont été affranchis en France sous l’influence de la philosophie ; l’esclavage subsiste encore dans nos colonies, et le servage en Europe dans des pays qui ne sont pas musulmans. L’esclavage fut le crime de la société païenne, et la Providence voulut que, comme toute société qui le maintient, elle y trouvât son châtiment. Tant que le travail et l’agriculture furent en honneur à Rome, que l’esclave, véritable membre de la famille, travailla sous les yeux du père de famille et avec lui, son sort fut comparativement tolérable ; de ces rapports continuels de l’esclave et du maître naissait une autorité plus douce, et le travail s’en ressentait ; cette vie en commun était à la fois utile à l’esclave, au maître, à l’état. Mais, quand le travail dédaigné eut été abandonné aux races serviles, que les progrès du luxe eurent multiplié le nombre des esclaves, et qu’il se trouva des citoyens qui en possédèrent jusqu’à quatre mille, ces troupeaux de misérables devinrent étrangers à leurs maîtres ; le travail languit, l’agriculture fut négligée, et l’Italie, obligée de tirer sa nourriture des contrées lointaines, fut facilement affamée dès qu’on parvint à l’isoler du reste du monde, ce qui arriva dans la guerre des pirates, et plus tard lors des invasions. L’esclavage tua l’industrie comme l’agriculture