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un caractère de parasite vraiment moderne, tout à la fois matérialiste et spiritualiste, type complet et varié, très supérieur, ce me semble, aux créations du même genre, dans Rabelais et dans Shakspeare, et même, si j’ose le dire, aux poètes du théâtre des Variétés.

C’est encore la société romaine sous Auguste qu’a étudiée l’auteur d’un livre curieux publié sous ce titre : Rome, ses conservateurs, ses novateurs et la monarchie d’Octave-Auguste. L’ouvrage de M. Legris comprend quatre études intéressantes sur Lucrèce, Catulle, Virgile et Horace. Selon lui, ces noms marquent les phases successives de la lutte engagée entre les conservateurs et les novateurs du temps, de cette querelle sanglante qui aboutit à la monarchie d’Octave-Auguste.

M. Legris désigne avec raison par le nom de conservateurs les républicains attachés à l’ancien ordre de choses, par celui de novateurs les ennemis de ce même régime. Le titre de ce livre est bien choisi. D’ordinaire, on ne veut voir dans cette lutte que des aristocrates d’un côté, des démocrates de l’autre : elle eut long-temps ce caractère ; mais, après la mort de César, il est, ce me semble, assez difficile de voir autre chose dans cette querelle que des monarchistes et des républicains. Singuliers démocrates, en effet, que ceux qui inaugurèrent dans la personne d’Octave la plus absolue tyrannie qui fut jamais ! Il est vrai qu’il est assez difficile de s’intéresser beaucoup au parti vaincu : s’il vit avec effroi les excès de la vénale populace qui forma le noyau du parti césarien, s’il arriva à cette aristocratie de se trouver seule romaine dans Rome au milieu de ce ramas de vagabonds, d’affranchis, de gens sans aveu, c’est elle seule qu’elle en dut accuser. N’était-ce pas elle, en effet, qui, en épuisant dans des guerres continuelles le vrai sang plébéien, lui avait substitué cette foule sans patriotisme et sans honneur ? Ce n’est pas Rome non plus qu’il faut plaindre : quand une nation perd sa liberté, c’est qu’elle n’en est plus digne ; elle mérite toujours tout le mal qu’elle supporte ; c’est le châtiment de sa lâcheté. Ceux qu’il faut plaindre, ce sont les hommes vraiment vertueux que le sort jeta au milieu d’une foule d’ambitieux avides et corrompus ; innocens des crimes dont ils portèrent la peine, ils honorèrent par une noble fin la chute de leur parti. Ces hommes, il faut le dire, furent tous du parti conservateur ; car, si l’empire fut un progrès à quelques égards, ceux qui l’installèrent ne méritent guère notre sympathie, et il faut convenir qu’il est difficile de trouver dans l’histoire une plus hideuse figure que celle du lâche et sanguinaire Octave. Et pourtant son avènement fut un bienfait pour Rome. C’est une pitié de voir par quels hommes s’accomplit souvent le progrès de l’humanité, et quels êtres méprisables l’ont parfois condamnée à l’humiliation de reconnaître en eux ses bienfaiteurs.

Le livre de M. Legris porte l’empreinte d’une louable impartialité, qualité d’autant plus méritoire, que le titre même de son livre annonce