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que les novateurs Catilina, Clodius et César les évitaient ? Est-ce que les conservateurs Brutus, Cicéron et Caton les fréquentaient beaucoup ? En tout cas, Lucrèce a peu réussi dans sa tentative morale, car la puissance des courtisanes devait après lui s’augmenter de jour en jour. Et puis, où donc Lucrèce attaque-t-il cette redoutable institution ? Dans le quatrième livre, si l’on en croit M. Legris. Sur ce point, on ne pourrait répondre qu’en citant, le passage. Qu’on le relise et qu’on décide si, dans ces vers d’une énergie si libre et si brûlante, il est facile de voir autre chose qu’une peinture des caractères et des effets de la passion. Pour moi, j’ai peine à y reconnaître une intention de si haute morale, surtout une intention politique. Je me souviens d’ailleurs que, si l’on en croit ses biographes, Lucrèce n’était pas, dans sa conduite, fort ennemi des courtisanes, et qu’il mourut, dit-on, des suites d’un breuvage amoureux que lui fit prendre sa maîtresse Lucilia.

Ainsi Lucrèce est le représentant de la démocratie pour avoir attaqué les augures et les courtisanes. Qui représentera en face de lui l’aristocratie ? On sait qu’en ce temps d’histoire philosophique ou prétendue telle, pour composer quelque chose d’un peu distingué dans ce genre, la recette consiste à séparer les hommes en deux classes, l’une représentant le noir, l’autre le blanc ; pas de nuances, les teintes intermédiaires sont supprimées. Cela compose un antagonisme, un parallélisme, une antithèse ; vous appellerez cela comme vous voudrez. Les chefs, les hommes marquans, quelques variations qu’on puisse trouver dans leur conduite, quelque mobilité qu’on remarque dans leur caractère, seront dépeints comme n’ayant point dit un mot, point fait un pas qui ne fût dans le sens de l’idée dont ils sont les représentans. Ce sont autant de monomanes, attachés à une idée fixe qui marque de son empreinte tout ce qu’ils ont pensé, fait, ou dit. Nous avons découvert l’homme-principe qui représente la démocratie ; qui choisirons-nous pour symboliser la pensée conservatrice et républicaine ? Si nous prenions Catulle, faute de mieux ? — Quoi ! Catulle, ce charmant diseur de riens, le poète du moineau de Lesbie et des baisers, le charger d’un rôle politique dans cette lutte terrible, l’adjoindre comme auxiliaire à Brutus et à Caton ? — Oui, Catulle ; M. Legris convient qu’on n’a voulu voir en lui qu’un épicurien insouciant, un jeune voluptueux, ou (comme parle Dorat cité par M. Legris) un aimable fripon, un agréable vaurien. On n’a pas voulu voir le côté sérieux, politique, important, de la poésie de Catulle. « Personne, que nous sachions, n’a fait voir le rôle joué par Catulle, à l’opposite de Lucrèce, dans l’ancien drame du patriciat et de la démocratie, ou de la conservation et de la réforme ; il est temps d’y regarder. Nous venons, curieux, soulever un coin du rideau. »

M. Legris soulève donc ce voile qui a dérobé jusqu’ici Catulle à tout le monde. Au premier abord, il semble que cette opinion, qui