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fait de Catulle un représentant du patriciat, on pourrait la justifier à la rigueur en rappelant son amour pour le luxe, son goût pour les délicatesses raffinées de la civilisation, ses épigrammes contre César. Il y aurait loin de là à ce rôle de missionnaire des idées aristocratiques ; mais il ne faut pas y regarder de si près. Peut-être même, vous rappelant ce que l’auteur dit plus haut des courtisanes attaquées par le démocrate Lucrèce, pensez-vous que Catulle, qui n’eut jamais une aversion très prononcée pour les scorta et scortilla, se trouve en conséquence classé parmi les aristocrates. — Nullement, car maintenant, dans son étude sur Catulle, M. Legris semble avoir changé d’avis sur les femmes galantes ; il nous les donne comme dévouées à ceux qui veulent un changement, une réforme ; elles font de l’opposition à leur manière, et, pour narguer le vieux parti romain, s’abandonnent à des excès où peut-être y a-t-il encore plus de malcontentement que de libertinage. Dans le fait, c’est ici que M. Legris pourrait bien avoir raison l’austère Portia est du parti conservateur, et Clodia, la Lesbie de Catulle, la sœur du novateur Clodius, s’abandonne à de furieuses débauches, uniquement, je veux bien le croire, pour exprimer son malcontentement à l’égard du patriciat, et faire acte d’indépendance. Elle se montra, il faut en convenir, d’un radicalisme effréné.

Les femmes perdues étant naturellement de l’opposition, les sentimens conservateurs de Catulle ne venaient donc pas de son goût pour les malcontentes ; mais alors en quoi fut-il conservateur ? Je ne sais que M. Legris qui puisse répondre à cette question. Catulle fut conservateur parce qu’il défendit dans ses vers la religion, la famille, la propriété ! — « Louange et regret du bon vieux temps, rappel aux anciens us, amour et respect de la famille posée comme base de l’autorité absolue ; principes d’honneur et de vertu, leçons de piété, de morale ; pour les épouses, leçons de chasteté, de fidélité ; au résumé, voilà, l’eussiez-vous cru ? la poésie de Catulle. » - Oui, l’eussiez-vous cru, vous qui n’avez vu dans Catulle qu’un épicurien, parfois charmant, parfois obscène jusqu’au dégoût ? c’est là la poésie de Catulle, mais de Catulle converti, car il faut distinguer deux époques dans la vie de Catulle : l’une à laquelle se rapporteront ses poésies obscènes, l’autre où il deviendra le moraliste austère que nous venons de découvrir.

Dans la première époque, Catulle s’est ruiné par des débauches de toute espèce ; qui viendra l’assister dans sa détresse ? Manlius, un patricien illustre, et voilà Catulle dévoué au patriciat, déterminé à défendre la vieille austérité républicaine. Manlius lui a donné une maison et une femme, non pas une épouse légitime, non pas même une courtisane, mais, si nous en croyons M. Legris, une femme mariée qu’il convoitait. En reconnaissance de ce service, Catulle se met à vanter la sainteté de l’hymen et l’excellence de la chasteté ; on ne saurait se montrer plus