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La tradition populaire en Espagne, et surtout en Andalousie, a conservé le nom de Maria Coronel, et l’associe dans maint récit tragique à celui de don Pèdre. Par une de ces confusions si fréquentes dans les légendes héroïques, qui, transmises de bouche en bouche, s’embellissent sans cesse par des additions romanesques, l’amour de roi pour Aldonza Coronel, femme d’Alvar Perez de Guzman, a été transporté à sa sœur, doña Maria, veuve de don Juan de La Cerda. Suivant une légende, qui est devenue de l’histoire pour les habitans de Séville, doña Maria, chaste autant que belle, repousse toujours avec indignation les hommages de don Pèdre. C’est en vain qu’elle oppose les grilles du couvent de Sainte-Claire, comme un rempart, à la passion impétueuse du tyran. Avertie que ses satellites se disposent à l’arracher du saint lieu, elle fait creuser à la hâte, dans le jardin du monastère, une large fosse, dans laquelle elle se couche, et que par son ordre on recouvre de branchages et de terre. Mais cette terre fraîchement remuée la trahirait sans doute, quand un miracle survient fort à propos. A peine est-elle descendue dans cette espèce de tombeau, que la fosse se couvre d’herbes et de fleurs, et rien ne la distingue plus du gazon d’alentour. Cependant l’amour du roi s’irrite par les obstacles. Il soupçonne que la belle veuve a trompé la vigilance de ses ministres ; il vient lui-même au couvent de Sainte-Claire pour l’enlever. Cette fois, ce n’est plus un miracle, mais un stratagème héroïque qui sauve la noble matrone. Détestant cette fatale beauté, qui l’expose à d’indignes outrages, elle saisit d’une main assurée un vase rempli d’huile bouillante, et le verse sur son visage et sur sa gorge ; puis, couverte d’horribles brûlures, elle se présente au roi, et le fait fuir épouvanté en lui déclarant qu’elle est atteinte de la lèpre. « Sur son corps miraculeusement conservé, dit Zuñiga, on voit encore les traces du liquide brûlant, et l’on peut à bon droit le tenir pour un corps saint[1]. » J’ai rapporté longuement cette légende, inconnue aux auteurs contemporains, pour donner une idée des transformations que l’histoire de don Pèdre a subies par la tradition, et des couleurs poétiques que lui a données la vive imagination du peuple espagnol. Après le récit merveilleux, vient la simple vérité de l’histoire.

Aussitôt après la conclusion de la trêve avec l’Aragonais, don Pèdre revint à Séville pour presser la construction et l’armement d’une puissante flotte. Les insultes des corsaires catalans lui avaient fait amèrement sentir l’infériorité de sa marine, et son esprit, toujours séduit par

  1. Zuñiga, Anales de Sevilla, tome II, p. 148. Le peuple raconte que Marie Coronel, poursuivie par don Pèdre dans le faubourg de Triana, se plongea la tête dans une poêle où une Bohémienne faisait frire des beignets. On m’a montré la maison devant laquelle avait eu lieu l’événement, et, comme preuve irrécusable, on m’a fait remarquer que cette maison est encore habitée par des Bohémiens, qui font la cuisine en pleine rue.