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les plus compétens, en dehors comme en dedans de la chambre, un admirable traité non-seulement d’économie politique, mais de politique générale. M. Duchâtel a eu raison, non-seulement avec des chiffres, mais aussi avec des principes ; il a su élever une question d’affaires à la hauteur d’une question philosophique, et c’est sous ce rapport surtout qu’il s’est montré supérieur.

M. Thiers, on doit le dire, avait singulièrement borné le champ de la discussion ; toute la question semblait se résumer, pour lui, dans les proportions qu’il était prudent de donner à la dette flottante. C’est là sans doute une question grave, mais qu’il ne faut pas envisager isolément pour la bien juger ; serait-il juste, par exemple, de faire abstraction des difficultés, des calamités qui ont pesé sur la France pendant ces deux dernières années, et cela au moment même où après tant d’hésitations le gouvernement et le pays se livraient avec une sorte d’entraînement à l’entreprise des chemins de fer et d’autres grands travaux publics ? Pour juger cette question, il faudrait faire appel au témoignage de tous les capitalistes, de tous les particuliers ; il faudrait demander aux plus sages, aux plus prudens d’entre eux, si eux-mêmes ils n’ont pas éprouvé quelque atteinte dans leurs ressources et dans leurs revenus par suite de la crise financière et commerciale à laquelle pas une nation européenne n’a échappé. Il y a en France une chose à laquelle il faut bien se résigner, c’est de voir le gouvernement central être la tête et l’instrument de toutes les opérations. La centralisation a ses inconvéniens comme ses avantages ; est-elle un bien, est-elle un mal ? C’est un point que nous ne chercherons pas à résoudre ici. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est dans les mœurs tout autant que dans les lois, et qu’il faut par conséquent l’accepter. Il arrive donc que, dans les temps difficiles, le gouvernement est obligé de venir au secours des communes, des arrondissemens, des départemens, qu’en même temps il lui faut pourvoir à l’entretien de tous les grands services de l’état, et cela lorsque ses ressources diminuent par les causes mêmes qui font que tous se tournent vers lui et réclament sa protection.

Et cependant le revenu public est après tout dans une condition tellement normale, qu’il s’est maintenu intact dans l’année pénible que nous venons de traverser. M. Thiers s’est montré très alarmé ou très alarmiste ; il a fait apparaître à plusieurs reprises le spectre d’un budget de 1,600 millions ; la justesse naturelle de son esprit le force pourtant à reconnaître qu’il ne faut pas juger une dépense en elle-même, mais comparativement aux moyens de la nation ou du particulier qui la fait. L’empire avait un budget de 7 ou 800 millions ; nous en avons un de 15 à 1,600 ; qu’est-ce que cela prouve, si nous le portons aussi bien ?

Du reste, c’est surtout sur le budget extraordinaire qu’ont porté les critiques de M. Thiers, et c’est précisément sur ce point que M. Duchâtel lui a répondu en homme d’état vraiment pratique. Selon M. Thiers, c’est plus qu’une témérité, c’est une folie de demander à la France 300 millions par an pour des travaux extraordinaires. Il est impossible de porter un jugement plus injuste sur la capacité et sur les ressources du pays. M. Thiers est, en économie politique comme en histoire, un logicien beaucoup trop rigoureux. Ainsi, comme l’a très justement rappelé M. Duchâtel, le but de l’amortissement est d’augmenter la puissance publique, de changer au profit de l’état les rapports entre les ressources et les charges. Or, on peut changer ce rapport de deux manières, ou en diminuant les charges ou en augmentant les ressources. Le premier