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ni les solutions n’étaient formulées avec cette double condition d’être à la fois explicites et concordantes. J’en atteste l’indécision évidente de saint Hermas et de saint Irénée, les erreurs d’Origène, l’inexactitude de saint Justin et de Tertullien, loyalement reconnue de Bossuet lui-même ; j’en atteste les incroyables efforts que les plus savans théologiens, le père Petau par exemple, ont dû faire pour ramener à l’orthodoxie les passages rebelles des pères antérieurs au concile de Nicée, et l’entreprise vraiment désespérée du dernier de ces théologiens, Moehler, obligé de convenir que les anciens pères s’exprimaient mal et donnaient à l’appui de leur foi des preuves qui tendaient à la fausser ; j’en atteste aussi ces innombrables hérésies qui, dans les premiers siècles, s’élevaient de tous les points de l’horizon,rencontraient, à peine nées, d’ardentes sympathies, même parmi les plus savans et les plus vertueux personnages, ces conciles qui lançaient l’anathème à d’autres conciles, l’un où plus de cent évêques absolvent Arius, l’autre où se réunissent trois cents évêques pour condamner dans Athanase la foi de Nicée ; j’en atteste, en un mot, pour parler avec saint Jérôme, le monde entier devenu arien.

Devant cette masse de faits, si l’on veut soutenir encore que toutes les questions étaient résolues dans l’Évangile et dans les premiers pères, il faut convenir du moins que la conscience du monde chrétien flottait incertaine et mal assurée. Or, dans cette indécision générale, une chose était inévitable : c’est que, la raison venant à s’appliquer à l’interprétation des dogmes encore mal définis de la religion naissante, ce travail d’exégèse et d’organisation ne subît d’une manière sensible l’influence des idées philosophiques. Et quelles étaient alors les idées dominantes ? C’étaient les idées panthéistes. Comptez en effet les écoles philosophiques qui ont fleuri pendant les trois premiers siècles de l’ère chrétienne. L’école d’Alexandrie est le centre où tout aboutit. Avant elle et comme pour la préparer, l’école juive de Philon, l’école néo-pythagoricienne de Moderatus, les écoles néo-platoniciennes d’Apulée, de Plutarque, de Numénius. A côté la kabbale, la gnose ; enfin, pour ne rien oublier, le stoïcisme vieillissant, mais agissant encore. Eh bien ! toutes ces écoles, à travers mille différences, ont ce point commun d’enseigner le panthéisme. Évidemment, il était impossible que le concours de ces deux circonstances, le christianisme indécis et le panthéisme florissant, ne suscitât pas un certain nombre de tentatives pour interpréter et fixer le christianisme par le panthéisme. C’est aussi ce qu’entreprirent une foule d’esprits, mais deux surtout, avec plus de scandale et de succès que les autres, Sabellius et Eutychès.

Avant Sabellius, bien d’autres s’étaient refusés à reconnaître en Jésus-Christ Dieu le fils, distinct de Dieu le père. Praxée, Noët, avaient positivement nié la distinction des trois personnes de la Trinité, ne