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voyant dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, que trois aspects relatifs, trois noms différens d’un seul et même être indivisible.

Ce qui donna à l’opinion de Sabellius un si grand éclat, ce qui en fit une des plus formidables hérésies, c’est que ce hardi génie aperçut et accepta toutes les conséquences de sa négation et les rattacha à une idée supérieure. Né, comme Praxée et Noët, dans l’Orient, où il avait respiré le panthéisme dès le berceau, il s’attacha, selon le témoignage de saint Athanase, à la philosophie stoïcienne, si forte et si pure dans sa morale, si dangereusement égarée dans sa physiologie panthéiste. Chrétien sincère, Sabellius ne pouvait nier que le Jésus de l’évangile ne fût Dieu. Aussi ne commença-t-il point par là, et tout au contraire il exagéra cette croyance à la divinité du Christ en s’y attachant avec une sorte d’emportement. Pour lui, le Christ, ce n’est pas la seconde personne de la Trinité unie à la nature humaine. Le Christ, c’est Dieu même, Dieu tout entier, se manifestant une seconde fois par l’incarnation d’une manière miraculeuse, après s’être une première fois manifesté par la création. C’est ce qui fait dire au théologien panthéiste Schleiermacher que Sabellius était plus chrétien que l’église. Et en effet, pour un panthéiste, cette distinction de deux natures en Jésus-Christ et de trois personnes en Dieu est une chose inconcevable. Le Dieu du panthéisme est absolument indivisible. La raison a beau vouloir le décomposer ; lui, l’éternel, l’absolu, reste enfermé dans la simplicité inaltérable de son être. Dieu est père, suivant Sabellius, quand il crée ; Dieu est fils, quand il naît d’une vierge pour apprendre aux hommes la vérité et la sainteté. Mort sur la croix, son ame reste dans l’église, et voilà le Saint-Esprit. Telle est la seule Trinité que veuille reconnaître Sabellius.

Au surplus, le pénétrant hérésiarque ne s’était fait aucune illusion sur les conséquences d’une telle doctrine. Si Dieu, pris en soi, est absolument indivisible, il ne vit qu’en produisant. La création est donc éternelle et nécessaire, ou plutôt il n’y a pas de création ; il n’y a qu’un développement éternel de l’être, et, pour ainsi dire, une incarnation permanente et nécessaire de l’infini dans le fini, de Dieu dans la nature. Alors, sans doute, rien de plus simple que le mystère de l’incarnation : Dieu s’est incarné en produisant la nature ; il s’incarne encore en se communiquant par Jésus d’une manière plus intime à l’humanité ; mais, s’il en est ainsi, si tout être est une incarnation de Dieu, le Christ ne peut être qu’une incarnation supérieure. Il est Dieu, mais non pas évidemment Dieu en soi, Dieu indivisible ; il est Dieu manifesté d’une manière éminente. Et de la sorte, sous prétexte de reconnaître dans le Christ non-seulement Dieu le fils, mais Dieu tout entier, Sabellius aboutissait à ne voir en lui qu’un homme supérieur et à nier sa divinité. Par cela même, il niait au fond l’incarnation et devait nier aussi la rédemption. Nous savons, en effet, qu’il allait jusque-là, et