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veux le tuer. Je vous demande de m’aider, et ce faisant vous me rendrez service. Lui mort, je pars aussitôt pour la Biscaïe, où je compte traiter de même don Tello. Alors je vous donnerai sa terre de Biscaïe et de Lara ; car, marié, comme vous l’êtes, avec doña Isabel, fille de don Juan Nuñez de Lara, ce riche domaine vous revient de plein droit. » Sans se montrer surpris de cette horrible franchise, et ne pensant qu’à l’immense fortune qu’il avait toujours convoitée, l’infant répondit avec empressement : « Sire, je me tiens pour obligé de votre confiance à me révéler vos secrets desseins. Il est vrai que je hais le maître de Saint-Jacques et ses frères. Eux me haïssent pour l’amour que je vous porte. C’est pourquoi je suis content d’apprendre que vous avez résolu de vous défaire du Maître. Si c’est votre plaisir, moi-même je le tuerai. » Alors le roi : « Cousin infant, dit-il, je vous remercie, et vous prie de faire ainsi que vous dites. » Perez Sarmiento, indigné de la bassesse de l’infant, interrompit d’un ton sévère. « Monseigneur, dit-il à don Juan, réjouissez-vous de la justice que va faire notre sire le roi, mais croyez qu’il ne manquera pas d’arbalétriers pour dépêcher le Maître. » Ces paroles déplurent à don Pèdre qui, dans la suite, ne les oublia point.

Quelques heures après cette conversation, don Fadrique entrait à Séville, venant de Jumilla. On dit qu’en dehors des portes un clerc, aposté peut-être par Sarmiento, l’avertit en termes mystérieux qu’un grand danger le menaçait ; mais le Maître ne tint compte de ses paroles, ou peut-être n’en comprit-il pas le sens[1]. Traversant la ville sans s’arrêter, il entra dans l’Alcazar avec une suite nombreuse de chevaliers de son ordre et de gentilshommes de sa maison. Il trouva le roi jouant aux dames avec un de ses courtisans. Déjà passé maître dans l’art de feindre, don Pèdre reçut don Fadrique d’un air ouvert, le sourire sur les lèvres, et lui donna sa main à baiser. Puis, interrompant son jeu, il lui demanda quelle avait été sa dernière étape et s’il était content de son logis à Séville ? Le Maître répondit qu’il venait de faire une traite de cinq lieues, et que, dans son empressement à présenter ses hommages au roi, il ne s’était pas encore enquis de son logement. « Eh bien ! dit don Pèdre, qui voyait don Fadrique fort accompagné, occupez-vous d’abord de votre logis, puis vous reviendrez me voir. » Et après lui avoir fait un signe d’adieu amical, il se remit à son jeu. En quittant le roi, don Fadrique passa chez Marie de Padilla, qui occupait avec ses filles un appartement dans l’Alcazar. C’était une espèce de harem, avec son étiquette tout orientale. En ce moment il dut congédier les chevaliers de sa suite, et entra seul avec Diego de Padilla, maître de Calatrava, qui, ne sachant rien de ce qui se tramait,

  1. Romances sobre el rey D. Pedro. — Rades, Hist. del Ord. de Santiago, p. 48. — Hist. de Murcia, p. 123. — Ayala ne parle pas de cette circonstance.