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air stupéfait comme si elle venait, à son grand étonnement, d’entendre parler une tête de bois. En effet, le marquis, droit dans son fauteuil, les traits immobiles et ses mains desséchées sur les genoux n’avait presque plus l’apparence d’un être vivant. L’enfant le considéra encore un moment d’un œil attentif puis tout à coup, saisie de frayeur, elle se détourna vivement et cacha son visage sur le sein de Mlle de l’Hubac, qui se baissait pour l’embrasser.

— Je vous avais avertie, mademoiselle, qu’elle n’était pas capable de se présenter devant vous avec tout le respect qu’elle vous doit, dit M de Champguérin en souriant.

— Qu’a-t-elle donc, cette mignonne ? s’écria Clémentine en la caressant et en séchant ses larmes ; est-ce que nous lui faisons peur ? Allons mon bel ange, ne pleurez plus, relevez la tête et faites la révérence a ces dames.

La petite Elle obéit docilement, et, le cœur encore gros de sanglots elle présenta son front ingénu à la baronne et à Mlle de Saint-Elphège puis d’elle-même elle alla se jeter derechef entre les bras de Clémentine, qui, touchée de ce mouvement naïf, la serra contre son cœur en s’écriant : — Que je serais contente si je pouvais vous garder toujours avec moi ma petite reine !

Mme de Barjavel, qui semblait suivre la conversation avec une indifférence distraite, donna suite sur-le-champ à ce propos.

— Mon oncle, dit-elle en se rapprochant du marquis, avez-vous entendu Clémentine ? Elle serait ravie de faire dès à présent amitié avec la petite Alice. Priez donc M. de Champguérin d’amener souvent sa fille à la Roche-Farnoux.

— C’est une faveur qu’il ne peut me refuser, répliqua le vieux seigneur.

En ce moment, une femme parut à l’entrée de la salle ; elle portait un costume étranger, et sa figure présentait les traits caractéristiques des races du Nord. Au lieu d’entrer, elle s’arrêta avec un geste timide et inquiet, et parut attendre qu’on lui rendît Alice.

— C’est là nourrice de ma fille, dit M. de Champguérin ; une pauvre créature née dans les Highlands et qui ne parle guère que son patois écossais.

— Eh ! bon Dieu ! comment s’est-elle décidée à qui tter son pays ! s’écria Mlle de Saint-Elphège est-ce vous, monsieur, qui l’avez fait venir de si loin ?

— Non, mademoiselle, répondit-il avec une amertume qu’il n’essayait pas de contenir ; c’est la mauvaise fortune du roi Jacques, laquelle a amené en France une multitude de gens nobles, de lairds, comme ils disent, suivis de leur famille, de leurs amis, de leurs adhérens, de leurs serviteurs, de leurs vassaux, de tout un peuple enfin…