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— Feu Mme de Champguérin appartenait à une de ces familles exilées : dit Mlle de Saint-Elphège avec un perfide intérêt ; c’était, je crois une maison puissamment riche, dont les biens n’étaient pas confisqués à l’époque de votre mariage, et de laquelle les Champguérin auraient hérité, s’il vous était un fils au lieu d’une fille ?

— C’est parfaitement exact, mademoiselle, répliqua laconiquement M. de Champguérin.

Le marquis se leva, et, avant de prendre congé, il fit le tour du salon comme pour reconnaître tous les portraits de famille ; ensuite, se dirigeante vers le jardin, il voulut se promener dans le parterre dévasté. M. de Champguérin le suivait en donnant la main à la baronne, et, pendant ce court trajet, il eut le temps de lui dire d’un air de confusion douloureuse : — Ah ! madame, vos yeux doivent être affligés de tout ce que vous voyez ici !

— C’est un triste séjour, je m’en aperçois répondit-elle avec un regard expressif ; mais vous n’y êtes pas pour le reste de votre vie, vous avez la certitude qu’un jour vous le qui tterez enfin…

— Je me consume dans ce désir, je vis avec cette espérance ! murmura-t-il en baissant encore la voix.

Le marquis fit le tour du jardin sans pouvoir reconnaître la place où il s’asseyait avec la charmante demoiselle dont il était épris avant d’entrer dans les pages de la reine régente : le banc de pierre abrité sous une charmille n’existait plus, et la muraille, ruinée en cet endroit, laissait apercevoir l’intérieur d’une cour où des palefreniers et des valets de chiens étaient en train de panser les chevaux et d’apprêtait un attirail de chasse.

— Eh ! eh ! monsieur de Champguérin, dit le marquis en passant, vous vous disposez à courre la bête demain ? Quel train ! quel équipage !

— L’équipage obligé d’un gentilhomme campagnard, répondit-il avec un sourire forcé.

— Qu’est donc devenu, monsieur, mon petit-neveu ? fit le marquis en s’avisant tout à coup qu’Antonin n’était pas là : il paraît que nous l’avons perdu en route.

— Il est resté en arrière, balbutia Clémentine ; mais sans doute il n’y a pas sa faute.

— Voyez un peu cette petite-fille ! interrompit le vieux seigneur ; elle me tiendrait tête, je crois, si j’ajoutais un mot contre son cousin. Allons ! pour cette fois, je veux bien passer la chose sous silence. Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, nous le retrouverons en chemin, ce bel oiseau couleur du temps. Mon vieux La Graponnière, fais avancer ma chaise.

— Adieu, petite belle ! adieu, ma reine ! adieu, mon cœur ! dit