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La baronne faisait sans doute la même observation, car elle semblait sourire intérieurement en regardant sa cousine, dont la physionomie rechignée s’épanouissait à vue d’œil. Le marquis lui-même s’aperçut de ce changement, et le soir, en rentrant dans sa chambre, il dit à son écuyer de main, qui ne le qui ttait qu’après l’avoir mis au lit As-tu vu, mon vieux La Graponnière, comme ma nièce de Saint-Elphège s’est radoucie à l’endroit de ce pauvre Champguérin ? Hier elle ne cessait de le brocarder aujourd’hui, elle l’avait en grâce c’est étonnant.

Dès ce moment, M. de Champguérin fut réellement admis dans l’intimité de la maison de Farnoux. Il jouait à l’hombre avec le marquis, accompagnait la baronne quand elle chantait au clavecin, et le soir faisait de la parfilure autour de la table à ouvrage. Quelquefois il amenait sa petite Alice, et toujours on la retenait un jour ou deux au château avec cette femme étrangère qui, après avoir été sa nourrice, lui servait de gouvernante. Jamais M. de Champguérin ne s’en allait le soir avant le premier coup de dix heures, et, souvent on ne revoyait le lendemain vers midi sur le chemin de la Roche-Farnoux, où il était attendu pour le dîner. Les gens du village disaient même qu’il venait dès le grand matin se promener aux environs, car plus d’une fois il avait été rencontré au point du jour par les femmes qui se rendaient à la Grotte-aux-Lavandières. Sa présence animait le cercle de famille ; on ne s’ennuyait presque plus à la Roche-Farnoux depuis qu’il y venait assidûment, et l’abbé lui-même, ce savant homme qui ordinairement ne prenait garde à personne, gagné par sa bonne grâce et ses belles manières, s’exprimait sur son compte avec des éloges infinis.

Mlle de l’Hubac connut alors dans toute sa plénitude le bonheur violent et troublé d’une passion cachée. Elle s’abandonnait avec exaltation à ces illusions dont la réalité se trouvait dans son cœur ; elle animait avec les secrets transports d’une âme ardente et naïve qui s’enivre de ses propres aspirations. Un amour moins tendre et moins profond se serait trahi peut-être par quelque manifestation imprudente ; mais Clémentine cacha naturellement son secret, la violence même de ses sentimens l’aida à les dissimuler. À mesure qu’ils s’emparaient de son cœur plus souverainement, l’instinct d’une pudique réserve la tenait plus éloignée de M. de Champguerin. Elle évitait de lui parler, de se trouver à ses côtés parfois même elle fuyait sar présence, et, accablée en quelque sorte par des motions-au-dessus de forces, elle se retirait un moment pour se recueillir et répandre des larmes. Cette manière d’être acheva d’apaiser les soupçons de Mlle de Saint-Elphège ; ce fut précisément parce qu’elle veillait sur toutes les actions de sa nièce, qu’elle ne pénétra pas ses secrets sentimens. D’un autre côté, la conduite de M. de Champguérin achevait de la rassurer. Comme tous les hommes d’une