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perruque dont les boucles étalées sur ses épaules donnaient quelque ampleur à ses formes osseuses, et son petit visage ridé, encadré dans une barrette de velours noir dont les côté se collaient à ses tempes, paraissait encore plus amoindri et plus parcheminé que d’habitude. La blancheur de sa chemise de toile de Frise, nouée au col et aux poignets avec des rubans de couleur tendre, tranchait sur la pâleur bistrée de son teint et lui donnait tout-à-fait l’apparence d’une image de cire jaunie par le temps. Cette étrange figure se souleva sur les coussins où elle appuya ses coudes, et dit de sa voix chevrotante : — Approchez, ma nièce, vous avez un siège dans la ruelle.

Mlle de Saint-Elphège s’assit, et dit, en jetant un coup d’œil autour d’elle : — Monsieur, nous ne sommes point seuls.

En effet, il y avait du monde dans la chambre. Le marquis, comme toutes les personnes très avancées en âge, avait perdu le sommeil, c’était à grand’peine qu’il s’assoupissait quelques instans ; ses valets de chambre veillaient alternativement près de lui et passaient la nuit à tâcher de l’endormir avec des histoires de voleurs et des contes de fées. Parfois il se levait, se faisait habiller et se promenait autour de sa chambre à la clarté des candélabres chargés de bougies qui brûlaient jusqu’au jour devant son lit. Le valet de chambre qui était de service ce soir-là se retira en même temps que La Graponnière, lequel ferma la porte et alla attendre dans la salle verte la fin de cette entrevue mystérieuse.

Alors le marquis se tourna vers Mlle de Saint-Elphège, et lui dit d’un air de curiosité goguenarde — Eh bien ! ma nièce, quel est de grand secret que vous venez me conter avec tant de précaution ?

Mlle de Saint-Elphège se recueillit un moment, et répondit d’un ton respectueux — Avant que je commence à m’expliquer, voulez-vous, monsieur, me permettre une question qui vous paraîtra peut-être hardie ? Et, sur un signe de tête du vieux seigneur, elle ajouta : — Je voudrais savoir, monsieur, si votre intention est de donner en mariage Clémentine de l’Hubac à M. Hector de Champguérin ?

Le marquis bondit entre ses carreaux.

— Qu’est-ce que vous me demandez là ? s’écria d’un air courroucé, voilà vraiment une grande idée et une belle imagination ! J’ai refusé cotre main à Champguérin lorsqu’il possédait encore quelques bonnes terres dans le bas pays, et que son château neuf ne tombait pas en ruines ; aujourd’hui qu’il n’a plus rien au monde que son chenil et son écurie, vous vous figurez que je consentirais à lui donner en mariage Mlle de l’Hubac ? Vraiment, ma nièce, je vous croyais plus de jugement et de pénétration !

Mlle de Saint-Elphège écouta sans sourciller cette sortie et répondit posément : — Je conçois, monsieur, ce que vous me faites l’honneur de