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préparatifs du départ. Elle tressaillait alors, et, l’ame navrée de douleur, elle regardait le ciel avec une muette expression d’angoisse et de prière.

L’heure redoutée approchait pourtant ; les étoiles s’éteignaient dans les profondeurs infinies, et le firmament devenait d’un pâle azur ; bientôt une lumière rosé baigna l’horizon et acheva de dissiper les froides ombres de la nuit ; déjà de légères colonnes de fumée s’élevaient en tournoyant au-dessus des toits du village ; les ménagères diligentes caquetaient sur leur porte, et les paysans prenaient, le bissac sur l’épaule, les sentiers qui conduisaient aux champs.

Alors Mlle de l’Hubac quitta son siège et vint s’agenouiller devant la fenêtre. De cette place, elle ne pouvait apercevoir ni la grande cour ni la porte principale ; mais elle voyait distinctement le chemin qui passait au-delà des remparts. Un sourd fracas ne tarda pas à se faire entendre dans l’intérieur du château ; on ouvrait les portes, et il semblait qu’une cavalcade déniait lentement au dehors.

Mlle de l’Huhac se releva alors, les mains jointes, les yeux fixés sur le chemin, et presque aussitôt les voyageurs parurent. Antonin et abbé Gilette descendaient à pied la Roche-Farnoux, le bâton à la main comme des pèlerins, et un livre sous le bras comme des savans qui partent pour explorer le monde. Les mulets chargés de leur bagage et les chevaux qui devaient leur servir de monture jusqu’à la ville prochaine venaient ensuite, conduits par des valets.

Adieu, mon meilleur ami ! murmura Clémentine tout en larmes ; adieu ! que le ciel te protège et te guide toujours !

Au moment où la petite troupe disparaissait dans le creux du chemin, une voix s’éleva au milieu du silence de cette heure matinale ; c’était celle d’un pauvre paysan qui bêchait sous les murs du château en chantant avec des modulations plaintives la vieille chanson :

Le fils du roi s’en va chassant,
Avec ses pistolets d’argent
Seyons-nous à l’ombre, ma blonde,
Seyons-nous à l’ombre des bois !
………..

Ce chant mélancolique retentit dans le cœur de Mlle de l’Hubac. — Il s’en va ! il s’en va ! répéta-t-elle sans détourner ses regards du chemin désert. Oh ! mon noble Antonin, mon généreux ami, mon frère ! le reverrai-je jamais !…


Mme CHARLES REYBAUD.