Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/672

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire tout ce qu’elle a d’énergie vitale. Si, parmi ces cœurs trop abattus, il en était un seul qui goutât quelque soulagement à voir cette patrie, dont il désespère trop vite, inspirer encore au loin une si ferme confiance, ce ne seraient point ici des pages perdues.


On sait ce qu’a duré le soulèvement polonais de 1846 et le peu qu’il en a coûté aux Allemands pour le réprimer ; on ne sait pas combien était grande la force qui s’est elle-même paralysée devant eux en s’employant mal. La justice prussienne a réuni dans l’acte d’accusation qu’elle a publié tous les détails qui se rapportaient le plus immédiatement à l’exécution du complot de Posen ; elle ne pouvait donner une idée du long travail dont ce complot n’était qu’un accident. Il ne faut pas juger de l’avenir de la Pologne par le mauvais succès d’un mouvement prématuré ; il faut en juger par l’énergique patience qui a enfanté les principes au nom desquels ce mouvement lui-même s’est produit. Là vraiment est la révolution, et bien plus sûre, bien plus féconde que ne l’aurait faite une victoire gagnée sans le concours de ces principes, dont nulle puissance n’empêchera l’avènement.

L’insurrection de 1830 n’avait qu’un cri : le rétablissement de l’indépendance nationale ; c’était vouloir la fin sans aviser aux moyens. L’insurrection de 1846, en même temps qu’elle déclarait la guerre à l’étranger, promettait au peuple affranchi l’égalité des droits et la réforme de la propriété. C’était beaucoup oser à la fois, et cette audace paraîtrait insensée si l’on était réduit, pour l’expliquer, aux imputations calomnieuses de l’Autriche ou aux manifestations incohérentes des dictateurs de Cracovie. Elle était pourtant la simple conséquence d’une propagande de quinze ans qui avait fini par convertir ou par soumettre à sa plus essentielle doctrine toutes les fractions de la Pologne émigrée, et qui, dans le pays même, tenait la haute main sur toute l’agitation. Le tort de cette propagande, un tort qui lui vint des circonstances plus encore que de sa volonté, ce fut d’avoir précipité les événemens sans compter avec l’état des esprits, d’avoir devancé le temps, d’avoir inscrit sur son drapeau, le jour où elle prit les armes, une devise de fraternité trop sublime pour l’intelligence attardée de ceux qu’elle appelait à sa suite. C’est justement comme cela que périssent les martyrs ; mais c’est aussi comme cela que les idées se fondent il n’y a plus personne en Pologne qui puisse désormais inventer de restaurer la patrie sans en émanciper tous les enfans. Les paysans de Posen ont abandonné ou livré leurs seigneurs, les paysans de la Gallicie les ont égorgés, et de la folie de ces bourreaux, du sacrifice de ces victimes, il est découlé pour la Pologne entière une leçon plus éclatante que si toute l’éloquence du monde l’avait mise en paroles : c’est qu’il faut faire des citoyens avec les paysans.

On n’en était guère à de pareilles pensées en 1830, et, quand on