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double dont ses deux mains serraient les extrémités ; puis, entraîné lui-même avec une terrible rapidité à l’ouverture du grand puits, il lâchait tout à coup un des bouts de la corde, et l’outre ne heurtait plus que mollement la muraille opposée ; mais un faux pas, la corde lâchée une seconde trop tard, pouvaient précipiter l’ouvrier dans un abîme sans fond. Je regardai long-temps, avec une sensation pénible, ce malheureux qui jouait ainsi sa vie à chaque quart d’heure du jour pour un modique salaire. Au milieu de ces ténèbres, de ce silence profond et si loin des rumeurs du monde, il me semblait voir en lui un de ces damnés de l’enfer de Dante accomplissant sans relâche un effrayant labeur.

Cependant l’outre était quatre fois descendue vide et quatre fois remontée pleine, c’est-à-dire qu’une heure entière s’était écoulée, et personne n’était venu. J’avoue qu’à la vue de ce puits immense qu’il me fallait remonter dans toute sa longueur, ma résolution avait faibli, et je pardonnais de bon cœur au vieux mineur son manque de parole, quand le câble du malacate apparut de nouveau dans l’ombre ; une faible lueur se dessina en même temps le long des parois humides, et une voix dont l’accent ne m’était pas inconnu s’écria :

— Eh ! l’ami, n’avez-vous pas avec vous un cavalier étranger qui m’attend pour remonter par le tiro ?

J’avais à peine répondu que j’étais prêt, qu’un paquet tomba à mes pieds. Je défis machinalement la corde qui l’entourait. Le paquet ne contenait qu’une veste et un pantalon de laine grossière, un bâton de cuir et une espèce de tresse en fil d’aloès. Je me demandai avec effroi si ce pantalon et cette veste étaient bien suffisans pour amortir une chute de douze cents pieds. Quant au bâton et à la courroie tressée, je n’en devinais pas l’usage. L’ouvrier qui travaillait près de moi me l’expliqua. Le vêtement de laine devait me préserver de l’eau qui jaillissait en pluie fine dans certains endroits du puits ; le bâton devait servir entre mes mains à empêcher le contact du corps avec le roc dans les oscillations du trajet, et la courroie à m’attacher au câble du malacate.

— Dépêchons, s’écria le guide invisible, nous n’avons pas de temps à perdre.

Je me couvris à la hâte des vêtemens qui m’étaient destinés, j’attirai vers moi le bout du câble qui se balançait dans le vide, et je me mis à cheval dessus. Le péon passa deux fois autour de mon corps et sous mes jambes la sangle de corde de manière à me faire le siège le plus commode possible, en attacha fortement les deux extrémités le long du câble, et me mit le bâton de cuir entre les mains. Il avait à peine achevé, que je me sentis enlevé de la plate-forme par une force invisible, et je perdis pied ; je fis trois ou quatre tours sur moi-même, et, quand je revins