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de l’espèce d’étourdissement que cette brusque manœuvre m’avait causée, je flottais déjà suspendu sur le gouffre. Un peu au-dessus de ma tête, j’apercevais les jambes de mon guide qui serraient fortement le câble. Bien qu’il portât une torche, je ne distinguai qu’imparfaitement son corps à demi nu, qui, à certains momens, se détachait sur les ténèbres luisant et cuivré comme du bronze florentin. Seules les paroles du mineur arrivaient distinctement jusqu’à moi.

— Suis-je bien attaché au moins ? lui demandai-je en remarquant qu’aucun noeud, qu’aucune aspérité ne pourrait empêcher la courroie qui me retenait de glisser le long du câble.

— C’est probable, à moins toutefois que le péon n’ait eu quelque distraction, répondit le mineur avec un calme parfait ; vous avez toutefois la ressource de vous retenir à la force des poignets.

J’étreignis avec une force surnaturelle le câble que mes deux mains pouvaient à peine embrasser.

— Et combien de temps dure l’ascension ? poursuivis-je.

— Douze minutes habituellement, mais la nôtre durera au moins une demi-heure ; c’est une attention que je n’ai eue que pour vous, qui aurez ainsi plus de temps pour observer les merveilles de la mine.

— Et n’est-il jamais arrivé malheur dans ces ascensions ?

— Pardonnez-moi. Un Anglais qu’on avait mal attaché s’est laissé choir du haut en bas, mais avec tant de discrétion, que mon compère qui le conduisait ne s’est aperçu de sa disparition qu’en arrivant à l’ouverture du puits.

Je jugeai superflu de faire de nouvelles questions. Quand j’eus calculé que cinq minutes s’étaient écoulées depuis la mise en mouvement du malacate, je me hasardai à regarder au-dessus et au-dessous de moi. Trois zones distinctes se partageaient le puits dans toute sa longueur. A mes pieds, une épaisse obscurité redoublait l’horreur du gouffre, dont l’œil ne pouvait sonder la profondeur ; de blanches et chaudes vapeurs se dégageaient lentement du fond ténébreux et montaient en tournoyant jusqu’à nous. Autour de moi, la torche du guide éclairait de sa lueur fumeuse les parois verdâtres sillonnées par la pointe des piques et déchirées par les tarières. Dans la région supérieure, une colonne de brouillards que l’immensité teignait de bleu comme le ciel appuyait sa base sur la zone lumineuse qui nous entourait et voilait complètement la clarté du jour qui baignait son sommet. En ce moment, la machine s’arrêta, les chevaux reprenaient haleine ; j’étreignis de nouveau le câble qui semblait se détendre, et je fermai les yeux pour échapper à la fascination de l’abîme.

— Cette halte est à votre intention, me dit le guide, je n’oublie pas que je vous ai promis une histoire, et je veux avoir le temps de vous la conter.