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Entre des prétentions si opposées, le légat prévit que le débat serait long et obstiné ; aussi son premier soin fut de demander aux deux princes une trêve d’un an au moins pour examiner à loisir les pièces de ce grand procès, recevoir les avis du saint-siège et régler les choses suivant l’équité. À cette proposition, don Pèdre s’écria qu’il serait insensé d’accorder une trêve au moment où sa flotte, armée avec des dépenses énormes, était prête à mettre à la voile, et lorsque ses troupes se trouvaient déjà réunies, soldées et sur le point de passer la frontière. Tout ce qu’il pouvait accorder par esprit de conciliation, et en témoignage de sa déférence pour l’envoyé du saint-père, c’était de réduire ses demandes à la remise des places contestées et à l’éloignement immédiat des émigrés castillans. Sur ces deux points il serait toujours inflexible.

L’Aragonais, faisant bon marché de ses sermens, eût volontiers expulsé sur-le-champ le comte de Trastamare et ses compagnons, mais il persistait à garder Alicante et Orihuela jusqu’à la décision du pape. En définitive il proposa de réduire la trêve à six mois, et de remettre la solution de toutes les difficultés pendantes à deux plénipotentiaires entre lesquels le légat ferait office d’arbitre suprême. Lorsque le légat rapporta cette réponse : « Cardinal, lui dit don Pèdre, qu’on ne me parle plus de trêve. Toutes ces propositions ne tendent qu’à me faire perdre mes avantages. Désormais que les armes décident entre nous[1] ! »

Pendant ces inutiles pourparlers, la guerre d’escarmouches et de pillages continuait, entretenue surtout par les émigrés castillans au service du comte de Trastamare et de l’infant d’Aragon. J’omets une foule de combats obscurs, de bicoques assiégées ou surprises, pour rapporter une anecdote singulière attestée par un auteur grave, Alonso Martinez de Talavera, chapelain de don Juan II, roi de Castille, et auteur d’une chronique estimée. Don Pèdre, dit-il, s’étant présenté devant le château de Cabezon, appartenant au comte de Trastamare, somma vainement le gouverneur de lui rendre la place. Celui-ci, fidèle à son seigneur, ne daigna pas répondre au héraut qui lui faisait de magnifiques promesses, et refusa même une entrevue que le roi lui demandait. Toute la garnison du château ne consistait cependant qu’en dix écuyers, bannis castillans ; mais derrière de hautes et épaisses murailles, dans un donjon bâti sur des rochers à pic, où l’on ne pouvait amener des machines, dix hommes résolus n’avaient pas de peine à se défendre contre une armée et ne cédaient qu’à la famine. Le siège devait être long, la place étant bien approvisionnée. Pourtant les dix écuyers, tous jeunes, étaient bien gens à repousser bravement un assaut, mais non pas à souffrir patiemment les ennuis d’un blocus. Il leur fallait des distractions,

  1. Ayala, p. 266, 270.