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lui-même, dans un temps plus propice aux créations mythologiques, n’y avait point réussi. Au fond, la poésie de la science n’est pas dans de pareilles créations : elle est dans la nouveauté des doctrines, dans l’émotion première qui suit leur apparition ; mais cette nouveauté, cette émotion, n’ont qu’un temps, passé lequel le moindre traité efface, non-seulement en exactitude, mais en intérêt véritable, tous les poèmes scientifiques.

Ces poèmes, du reste, au temps dont nous parlons, s’étaient déjà confondus avec un genre par lequel, on l’a vu, a fini chez les Grecs, par lequel finit partout la poésie didactique, avec le genre descriptif. Delille, qui y a dépensé tant d’esprit, d’agrément, d’élégance, d’art ingénieux et délicat, dont on ne lui tient guère compte aujourd’hui, Delille en fait l’aveu, avec une naïveté piquante, dans la préface de ses Trois Règnes. « Ce poème, dit-il, ne peut se disculper d’appartenir au genre descriptif. » Tout y appartenait alors, la science, les arts, les métiers même. On versifiait toutes choses, et dans ce travail, comme au temps d’Aratus et d’Oppien chez les Grecs, tout se tournait en descriptions.

Ce qui s’est passé chez nous et autrefois chez les Grecs, on peut le montrer s’accomplissant chez les Romains, nos maîtres et leurs disciples, absolument de même. Ce n’est pas que dans leur littérature, improvisée tout à coup par l’imitation, et où souvent se reproduisirent ensemble, un peu confusément, les âges divers de la littérature grecque, certains ouvrages ne paraissent, à certaines dates, offrir une sorte d’anachronisme ; mais, à part ces hasards de l’imitation, ces accidens littéraires, la force des choses reproduisit chez eux la succession nécessaire des poèmes gnomiques, des poèmes philosophiques et scientifiques, des poèmes descriptifs.

Aux vers gnomiques d’Hésiode (on peut, je l’ai montré, sans lui faire tort, leur donner ce nom), à ceux de Théognis, de Phocylide, de Solon, de Pythagore, à ces simples recueils, compositions d’une époque ou, en Grèce, les connaissances étaient encore éparses et sans lien, répondent à Rome, dans les premiers temps de sa littérature originale et barbare, et même de sa littérature latino-grecque, ces enseignemens à peu près métriques sur l’agriculture, sur la conduite de la vie, dont quelques-uns sont, a-t-on cru, du vieux devin Marcius[1] ; un poème pythagoricien que, d’après Panaetius, Cicéron[2] attribuait à Appius Claudius Coecus, ce sénateur qui opina si fièrement contre Pyrrhus ; enfin, les Protreptica, les Proecepta d’Ennius, dont le titre indique assez le caractère.

Les expositions de systèmes qu’une science plus complète et mieux

  1. Flav. Mall. Theodorus, de Metris. éd. Heusinger, 1755, in-4o, p. 95.
  2. Tusc., IV, 2 ; Cf. Sallust. de Rep. ord., II, 1 ; Prise., Fest., Non., passim.