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merveilles de la nature. Il y a de cette vocation passagère des traces frappantes dans ses Géorgiques, où, tout en parlant avec charme du sujet auquel il s’est restreint, il ne laisse pas de regretter éloquemment celui qu’il a quitté et ne néglige pas l’occasion de s’en rapprocher un instant, où il associe aux connaissances pratiques du simple cultivateur quelques notions savantes, magnifiquement exprimées. On se rappelle les vers dont nous montrions tout à l’heure l’imitation chez La Fontaine, et que Delille a ainsi traduits :

O vous à qui j’offris mes premiers sacrifices,
Muses, soyez toujours mes plus chères délices !
Dites-moi quelle cause éclipse dans leur cours
Le clair flambeau des nuits, l’astre pompeux des jours ;
Pourquoi la terre tremble et pourquoi la mer gronde ;
Quel pouvoir fait enfler, fait décroître son onde ;
Comment de nos soleils l’inégale clarté
S’abrége dans l’hiver, se prolonge en été ;
Comment roulent les cieux, et quel puissant génie
Des sphères dans leur cours entretient l’harmonie.
Mais, dans mon corps glacé, si mon sang refroidi
Me défend de tenter un effet si hardi,
C’est vous que j’aimerai, prés fleuris, onde pure ;
J’irai dans les forêts couler ma vie obscure[1].

Ainsi donc les Géorgiques tiennent par certains côtés à ces compositions scientifiques imitées, à la fin du siècle précédent, de l’érudite Alexandrie. Elles se rattachent, d’autre part, par des rapports plus lointains, à ces poèmes où, dans les premiers âges, se déposaient, se conservaient les notions pratiques acquises par l’expérience. Elles s’y rattachent, mais, cela était inévitable, un peu artificiellement. Au temps où écrivait Virgile, le rôle d’Hésiode, comme celui d’Homère auquel il passa ensuite, n’était plus possible que par une sorte de supposition, de convention littéraire. Après les traités de Caton et de Varron, que suivra bientôt celui de Columelle, il n’y a plus place véritablement pour l’enseignement de la vie rustique par la poésie. Cet enseignement est fictif ; il s’adresse à ceux qui n’en profiteront pas, pour l’appliquer du moins. Les Géorgiques sont un prétexte à des peintures, pleines de vérité et de charme, de la nature et des travaux de la campagne.

Ce poème toutefois, plus heureux que les poèmes de Delille, peut se disculper d’appartenir au genre, toujours quelque peu frappé de froideur, que l’on appelle descriptif. La description qui le remplit y est animée par un intérêt tout présent, intérêt patriotique, intérêt social. L’agriculture, ce travail de Rome naissante, d’où sont sorties ses fortes

  1. Me vero primum dulces ante omnia musa, etc.

    (Virgile, Georg, Il, 475-486.)