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entreprit cette tâche, et c’est à ses héroïques efforts, à ses combats incessans, à sa polémique ardente, victorieuse, que la France doit son indépendance, son intégrité. Sans le calvinisme, Henri IV ne serait pas monté sur le trône, et la France ne serait plus France ; c’est toujours sous l’invocation de ce nom sacré que le calvinisme a combattu ; à chaque page de ses éloquens pamphlets, Duplessis-Mornai demande au peuple de se souvenir qu’il est Français et que tous les ennemis du roi sont étrangers, Lorrains, Italiens ou Espagnols. C’est ce drapeau qui a vaincu et qui a rallié la bourgeoisie et le parlement de Paris autour du trône de Henri IV. « Peuple (s’écrie Duplessis), on veut vendre à l’Espagnol notre pays et chasser la France hors de la France pour y faire les logis de la Lorraine et de l’Espagne. Si on tient le roi Henri pour suspect, si on tâche par tous les moyens de le rendre odieux, c’est qu’il est le vrai sang de France, c’est qu’il est né l’ennemi, et à très grand droit, de la nation d’Espagne. Que ce qu’il y a de reste de la France en France se rallie et se rejoigne contre cette conjuration maudite (la ligue). Qu’on n’oye plus entre nous les noms de papiste et d’huguenot, noms ensevelis par les édits de la paix ; que pour tout il ne soit plus parlé entre nous sinon d’Espagnols et de François… Le sang court au cœur et le bras pare la tête dès qu’il ressent le danger, dès qu’il aperçoit le coup venir ; soyons tous unis, rangeons-nous au roi. » Tel était le langage du calvinisme, tandis que les états de la ligue recevaient avec acclamations l’ambassadeur d’Espagne dans leur sein et offraient le trône de France à l’infante Claire-Eugénie. L’ambition mal satisfaite de Mayenne épargna à Paris la honte de saluer pour la seconde fois un roi étranger, mais l’épée des calvinistes, et plus encore leur plume, protégèrent toujours l’honneur et l’indépendance de la patrie. C’est leur plus beau titre de gloire.

Henri IV, en abjurant le calvinisme, avait surtout pour but de rallier à sa personne un parti considérable, formé par les parlementaires, la petite noblesse et la haute bourgeoisie, et qui s’établissait en médiateur entre les deux grands principes ennemis, la réforme et la ligue. Ce parti, qu’on appela le parti des politiques, parce qu’il avait de l’habileté et point de passion, chose rare en ce temps, approuvait les idées du calvinisme sur l’indépendance de l’état, la nationalité et la tolérance civile, mais il se rattachait fortement au catholicisme par le respect, et, on pourrait presque dire, le culte des traditions et de la chose établie. Il crut avoir trouvé un expédient merveilleux pour désarmer à la fois le fanatisme de la ligue, le patriotisme intraitable des huguenots et l’ambition de l’Espagne, en offrant la couronne à un prince français, mais catholique, le cardinal de Bourbon. Henri IV eut sérieusement peur de cette combinaison, et se hâta, comme il le disait, de « faire le saut périlleux. » Son adresse et son or le servirent si bien, qu’il gagna à sa cause le parti des politiques, et les portes de Paris lui furent ouvertes.

Les calvinistes avaient conduit Henri IV jusqu’au pied du trône, Henri les quitta pour y monter. Son projet d’abjuration, approuvé par Rosni qui appuya sur ce sacrifice sa faveur naissante, fut vivement et énergiquement combattu par Duplessis-Mornai. Jusqu’à ce jour Duplessis avait été en quelque sorte l’unique conseiller du nouveau roi, il écrivait toutes ses dépêches aux cours étrangères, tous ses manifestes au peuple français ; il était dans le monde l’organe respecté du roi de Navarre et son bras droit dans la bataille. Henri IV, en abjurant le calvinisme,