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les princes étaient entrés en accommodement, et les états-généraux venaient d’être assemblés pour rendre la paix au royaume. La reine se laissa fléchir et désigna Gergeau comme le lieu de l’assemblée ; mais par une singulière inconséquence, qu’on ne saurait attribuer qu’aux influences du duc de Bouillon et des jeunes seigneurs désireux de la guerre, les églises refusèrent encore Gergeau, et, sur l’intervention de Duplessis, demandèrent à revenir à Grenoble.

Duplessis avait rédigé un avis pour l’assemblée générale de Grenoble, où se trouve exposé tout le plan de conduite des calvinistes. Dans cet avis, du mois d’août 1614, Duplessis conseille d’abord à l’assemblée d’envoyer vers le roi une députation notable pour saluer sa majorité avec les soumissions requises, « et répandre, dit-il, à ses pieds les vœux très ardens de notre très humble et fidèle dévotion, avec protestation de lui rendre en toutes occasions les mêmes services au prix de notre sang et péril de nos vies, qu’autrefois au roi Henri-le-Grand, d’immortelle mémoire, en ses plus durs et périlleux affaires. » L’écrivain calviniste expose rapidement au jeune roi les causes et le développement historique de la réformation au milieu des persécutions royales et du fanatisme populaire. Il s’attache surtout à démontrer, avec une respectueuse fermeté, que la raison d’état est d’accord avec l’humanité pour maintenir la liberté de conscience, et que Henri IV, en signant l’édit de Nantes, obéissait aux leçons de l’expérience tout autant qu’aux élans de sa gratitude. Les calvinistes demandaient la tolérance, et il aurait été aussi injuste qu’impolitique de la leur refuser, car, s’ils n’étaient pas intérêts des destinées du royaume, ils l’étaient au moins de son repos. Il faudrait se garder de voir une menace dans le langage de Duplessis ; il s’efforçait au contraire de modérer l’ardeur des églises et d’affermir leur condition plutôt que de l’accroître. Bien loin de vouloir profiter des troubles de l’état pour obtenir de nouveaux privilèges, il ne songeait qu’à maintenir et à consolider les édits. Jamais la raison n’avait parlé un plus noble langage ; mais le retard apporté à la réunion de l’assemblée calviniste rendit ces remontrances inutiles. Les états-généraux du royaume étaient déjà séparés au moment où les députés de la religion se rassemblaient, et les factions des princes, quelque temps contenues, s’agitèrent bientôt avec plus de violence.

Les états-généraux de 1614 sont les derniers de la monarchie avant ceux de 89 ; leur intervention dans les affaires de l’état n’amena pas même une trêve de quelques jours entre les diverses factions qui déchiraient la France ; leur action fut stérile, presque nulle ; mais ce qui est digne de l’histoire, c’est l’attitude nouvelle et le langage du tiers-état. Dédaigné, méprisé même par les autres ordres, il a cependant déjà le vague sentiment de sa dignité et de sa grandeur future ; lui seul, tout imbu qu’il était des idées calvinistes, défendit la cause de la justice dans le gouvernement et de l’indépendance de la couronne. Un de ses orateurs, en formulant au roi les plaintes de la nation, disait, avec une énergie inattendue, « que le gouvernement, dans les malheurs publics, avoit été obligé d’acheter le service de la noblesse, et que tout cela avoit tellement grossi les charges du peuple et sa misère, qu’on l’avoit réduit à brouter l’herbe comme les bêtes. » Craignant d’avoir offensé la noblesse par ce langage, le tiers-état adressa à cet ordre un discours d’excuse d’une beauté et d’une élévation singulières, lui disant « qu’ils étoient tous, nobles et bourgeois, d’une même maison ; que la France les avoit nourris à la même mamelle, dans la grande famille française.