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Le clergé a le droit d’aînesse, messieurs de la noblesse sont les puînés, et nous les cadets ; mais souvent les cadets ont relevé les maisons de ruine. » Telles étaient les idées de justice et de dignité humaine que le calvinisme avait semées dans le sein de la bourgeoisie. Cependant on en perdit un moment la trace sous Richelieu et sous Louis XIV, et la tradition du XVIe siècle ne se renoue qu’au XVIIIe. L’aristocratie ne se mettait guère en peine à cette époque d’affecter des tendances libérales. Le baron de Senecey répondit au tiers-état, au nom de la noblesse, avec une brutale franchise : « La noblesse, disait-il, regarde comme la plus grossière des offenses cette prétendue fraternité dont vous parlez. Nous ne sommes pas de même race, et vous êtes si bas que vos injures même ne sauroient nous offenser, puisque vous ne pouvez pas nous en donner réparation. » L’histoire doit enregistrer ces deux discours, car ils peignent au vif l’état de la société au XVIe siècle et l’origine de nos révolutions. La noblesse était restée au moyen-âge, le tiers-état appartenait déjà à l’avenir.

En rédigeant ses cahiers, le tiers-état demanda que tout officier public fût tenu de reconnaître par serment que le roi tient son autorité de Dieu, et qu’il n’y a aucune puissance sur la terre, soit spirituelle, soit temporelle, qui puisse contrôler les actes du roi, intervenir entre lui et ses sujets, délier ceux-ci de leurs sermens et déposer leur légitime souverain. On voit que le tiers-état avait d’aussi justes notions sur la constitution de l’état que sur les droits de l’humanité. Cette déclaration solennelle contre les empiétemens de la papauté avait déjà été faite à peu près dans les mêmes termes par l’Université de Paris, qui demandait à être reçue aux états-généraux. Le pouvoir le plus respecté de ce temps, le parlement, donna une sanction publique à ces sages maximes ; mais le clergé et la majorité de la noblesse les repoussèrent avec indignation ; la minorité calviniste de la noblesse protesta en faveur de la déclaration du tiers, et se retira. Ce qu’on ne saurait comprendre aujourd’hui, c’est que la cour elle-même, le gouvernement du roi, repoussa comme une hérésie le dogme de sa propre indépendance. Le cardinal Du Perron vint plaider devant les états assemblés la cause de la suzeraineté papale, il développa dans un long discours toutes les maximes des jésuites sur l’asservissement des rois aux foudres de l’église, et, pour prévenir en quelque sorte les objections de la postérité, il déclara que le calvinisme seul avait inspiré la déclaration du tiers-état sur l’indépendance de la couronne et ses prétentions séditieuses sur l’égalité des ordres.

Duplessis-Mornai ne pouvait garder le silence en cette occasion solennelle ; il adressa un mémoire aux états-généraux où se trouvent exposées et justifiées, avec une grande modération de langage, les réformes que le calvinisme jugeait nécessaire d’apporter à l’état. Ce n’était point là tout ce que le calvinisme voulait, mais c’était tout ce qu’il croyait possible. « Le clergé se plaint, dit Mornai, et on se plaint de lui. Cependant le remède de tous ces désordres est écrit dans la loi. Les états d’Orléans lui permettent d’élire pour les prélatures vacantes trois candidats, sur lesquels le roi en choisit un ; et si ce trop large privilège effarouche la royauté, que du moins le roi, conformément aux articles de Blois, ne fasse les nominations qu’après un mois écoulé depuis la vacance ; alors peut-être la faveur, qui enlève aujourd’hui tous les choix, laisseroit au mérite le temps de se faire apprécier. Que nuls étrangers, suivant les lois du royaume, ne soient pourvus des dignités et charges ecclésiastiques ; les prélats espagnols ou italiens