Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous devons le remercier du soin avec lequel il a éclairé cette histoire. Les manuscrits de Gérard Roussel, des lettres de Calvin, de Mélanchton, de Bucer, la plupart inédites, lui ont servi à compléter la biographie très difficile de son personnage. Les rapports de Roussel avec Calvin sont bien établis. Tandis que la Sorbonne poursuivait, nous venons de le voir, et Marguerite de Navarre et son prédicateur, Calvin, de son côté, se disposait à les attaquer aussi. Au moment où la persécution redoublait dans le nord de la France, les savans, les libres penseurs s’éloignaient de Paris ; Clément Marot avait trouvé un refuge à Ferrare ; Robert Estienne emportait à Genève ses presses condamnées ; un grand nombre d’esprits inquiets s’étaient enfuis auprès de Marguerite. Parmi ces réfugiés qu’accueillait si volontiers la reine de Navarre, on eût compté sans doute des hommes de toutes les opinions ; il y avait des protestans timides qui n’osaient se déclarer ; il y avait aussi des indifférens, et, comme on disait, des libertins. Calvin, extrême en tout et inflexible, s’emporta contre les libertins, c’est-à-dire contre ceux qui ne protestaient que dans l’ombre. Il ne comprenait pas la tolérance aimable de Marguerite ; il traitait de lâcheté coupable la timidité affectueuse de Gérard Roussel et son esprit de conciliation. Il savait bien que ni la reine de Navarre, ni l’évêque d’Oleron, n’étaient attachés de coeur au catholicisme romain ; il rappelait à Roussel ses anciennes sympathies pour la réforme, son adhésion aux principes évangéliques, et, avec cette logique cruelle qui était son génie, il le pressait d’argumens formidables. C’est ce qu’il fit particulièrement dans une épître bien curieuse sur le devoir de l’homme chrestien, en l’administration ou réjection des bénéfices de l’église papale. Cette lettre est adressée à un ami, de présent évesque. M. Schmidt a bien fait de citer ce document, déjà connu et imprimé à diverses reprises, mais qui appartenait surtout à son sujet. La langue y est énergique et fière ; on reconnaît le ferme logicien qui vient d’écrire l’Institution chrétienne. « Maintenant chacun va disant que tu es bienheureux, et par manière de dire le mignon de la fortune, à cause de la nouvelle dignité d’évesque qui t’est escheue… Voilà ce que les hommes disent de toi, et par aventure aussi te le font croire ; mais moi, quand je pense un petit que valent toutes ces choses, desquelles les hommes font communément si grande estime, j’ai grand compassion de ta calamité. » C’est ainsi un mélange d’ironie et de sévérité hautaine ; puis les argumens se suivent, se pressent et frappent à coups redoublés. Quand l’altier controversiste croit avoir ébranlé son adversaire, il jette un appel impérieux et retentissant : « A la trompette, toi qui dois faire le guet ! à tes armes, pasteur ! Qu’attends-tu ? A quoi songes-tu ? » Et il laisse enfin tomber sur lui, comme une condamnation, ces dures paroles, ce terrible adieu : « Tant que tu seras de la bande de ceux lesquels Christ nomme voleurs, brigands et meurtriers de son église, estime de toy ce que tu voudras ; pour le moins je ne te tiendrai jamais ni pour chrestien ni pour homme de bien. Adieu. » Arrêt cruel, aveugle emportement du sectaire ! Contre ces reproches passionnés, Gérard Roussel cherchait un refuge dans la contemplation et l’étude. Des écrits théologiques, la familière Exposition du symbole, un traité sur l’Eucharistie, un autre intitulé Forme de visite de Diocèse, c’étaient là ses réponses au réformateur de Genève. M. Schmidt a étudié avec soin, avec piété, ces curieux ouvrages, et il en cite de longs fragmens d’après les manuscrits de la Bibliothèque royale. Toute cette fin de la vie de Gérard Roussel, dans sa sérénité