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qui semblait annoncer qu’elle ressentait quelque chagrin violent et caché. En effet, il lui avait fallu subir une mortification cruelle ; elle venait d’être vaincue dans l’espèce de lutte sourde, et acharnée qu’elle soutenait contre son ancien adorateur. Le jour même que le petit baron était parti, elle avait couru au petit lever de son oncle et entamé un discours sur la nécessité d’éloigner M. de Champgnérin ; mais le marquis lui avait aussitôt coupé la parole, en s’écriant d’un ton sardonique et absolu Qu’est-ce à dire, ma nièce ! vous voulez que je fasse affront à un si galant homme ? Et pour quel sujet, je vous prie ? Parce que vous vous êtes mis en tête je ne sais quelles idées et que vous lui prêtez je ne sais quels projets ! Mais je ne donne point dans toutes ces billevesées, cordieu ! et je vous défends de m’en entretenir jamais. Ce n’est, certes, pas la faute de Champguérin si un petit pendard et une péronnelle ont eu l’arrogance de me manquer de respect ; j’entends que tout le monde ici lui fasse ton visage, et qu’il vienne tous les jours, comme par le passé, faire ma partie d’hombre et me tenir compagnie.

— Vous le voulez à tous risques ? vous êtes le maître, monsieur ! répliqua Mlle de Saint-Elphège suffoquant de dépit et se contenant à peine ; je veillerai sur ma nièce, et ce ne sera pas ma faute s’il advient céans des choses contraires à la tranquillité, à l’honneur de notre famille.

Mme de Barjavel s’était rendue aussi, dès le premier jour, dans la chambre de Clémentine ; mais elle lui avait épargné les reproches, les tardives observations, et s’était contentée de l’engager à mettre à profit ce temps de retraite et de solitude pour réfléchir mûrement sur ses devoirs et ses obligations. La baronne était une personne trop sérieuse, trop imposante, pour que Mlle de l’Hubac se laissât aller avec elle à quelque épanchement qui eût soulagé son cœur. Il ne pouvait pas même y avoir grande conversation entre elles, et le plus souvent Mme de Barjavel employait tout le temps de sa visite à édifier Clémentine par quelque lecture solide qu’elle prenait la peine de lui faire à haute voix. Ces visites et ces passe-temps remplissaient environ deux heures de la matinée, et lorsque Mlle de Saint-Elphège, qui venait toujours la dernière, se retirait après avoir recommencé pour la vingtième fois ses admonestations, Clémentine demeurait seule pour tout le reste de la journée. Cet isolement porta ses fruits. D’abord la pauvre enfant fut saisie d’un grand ennui et tomba dans un accablement extrême ; ce fut le temps où elle pleura l’absence de son cousin avec un regret profond qui ne laissait point de place à d’autres sentimens. Puis les forces de son ame se ranimèrent, elle chercha une consolation dans la cause même de son malheur, et se fit une occupation continuelle du souvenir de celui pour lequel elle souffrait cette persécution. Jusqu’alors elle n’avait éprouvé peut-être, pour M. de Champguérin, qu’une de ces vives