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moment de silence, elle ajouta d’un ton plus calme : — elle ajouta d’un ton plus calme : — Allons ! soyez raisonnable, essuyez vos larmes et dépêchez-vous de serrer ce tableau.

Mlle de l’Hubac ôta sa broderie de dessus le métier, ensuite elle alla fermer dans le coffret qui avait si vivement excité jadis la curiosité du petit baron, et où elle gardait précieusement tous les souvenirs d’amies de couvent. Quand cela fut fait, elle revint s’asseoir près de la fenêtre et tourna les yeux vers le chemin par lequel M. de Champguérin arrivait chaque jour. Ce mouvement n’échappa point à la vieille fille ; elle hocha la tête d’un air profondément attristée, et répondant à la pensée de Clémentine, elle lui dit : — Vous avez dix-sept ans, et vous espérez vous espérez en l’avenir !… Il vous semble que vous avez devant vous tant d’années de vie et de jeunesse, qu’il vous est aisé d’en sacrifier quelques-unes. Le temps écoulé ne vous effraie pas encore mais un jour viendra où vous regarderez derrière vous avec douleur et où vous regretterez d’avoir consumé votre vie dans une sorte de rêve… J’avais seize ans comme vous quand j’arrivai ici, et je franchis d’un cœur assuré le seuil de cette demeure où je devais souffrir si long-temps… Ma mère, pauvre femme ! eut un pressentiment de mon triste sort ; elle regretta de m’avoir si tôt retirée du monde et pleura d’avance mon malheur… En effet, j’ai attendu J’ai langui ; ma jeunesse s’est écoulée, et rien n’a changé… Hélas ! votre destinée sera pareille à la mienne, si vous comptez sur l’avenir, si vous abandonnez votre âme à la vaine espérance d’être libre un jour, libre de disposer de votre main.

— Mes vœux ne vont pas jusque-là, répondit Clémentine d’une voix altérée ; tout ce que je demande c’est qu’on me laisse librement refuser toute proposition de mariage.

— Soyez tranquille, il n’en sera question de long-temps ! répliqua Mlle de Saint-Elphège avec amertume. Ma nièce, nous suivrons toutes deux exemple de cette vieille demoiselle de Farnoux que votre grand-oncle cite à tout propos, après avoir vécu long-temps, nous mourrons sans alliance.

Là-dessus elle se leva, convaincue d’après sa propre expérience qu’il n’est ni raisonnement ni remontrance qui puisse changer l’esprit d’une fille amoureuse. Avant de se retirer, elle dit encore à sa nièce en manière d’avertissement : — Votre belle-tante viendra ici tout à l’heure, et elle s’apercevra peut-être que vous avez les yeux rouges ; mais il inutile qu’elle sache pourquoi vous avez pleuré. C’est une personne d’une vertu si froide, si sévère, qu’on ne peut parler avec elle de certaines choses…

— Oh ! je n’aurais jamais osé ! s’écria naïvement Mlle de l’Hubac.

— Il y a des secrets qu’elle n’apprendra pas de ma bouche, ajouta la vieille fille d’un air concentré et en faisant allusion dans sa pensée aux