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du luxe un crime et de la joie un outrage à Dieu, ces règlemens minutieux sur les mœurs et les costumes, cette inquisition dont l’exil inquiet et vigilant pénétrait jusqu’au foyer domestique ; toutes ces mesures qu’amenait l’une après l’autre l’esprit intérieur du calvinisme soulevèrent une vive opposition. Chaque jour, l’influence politique, le gouvernement et l’administration elle-même passaient des mains des laïques en celles des ministres. L’état devenait une théocratie, et les citoyens de Genève n’étaient plus que les sujets d’un petit nombre de ministres, sujets eux-mêmes de Calvin, lequel, appuyé au dehors sur ce bataillon chaque jour plus nombreux de réfugiés accourus de France autour d’un Français, dominait les trois conseils du sein du consistoire et paraissait à la fois le roi et le pontife souverain de la cité[1].

Un parti puissant se forma, appuyé sur l’esprit de localité et sur l’esprit de liberté, conduit par les patriotes les plus illustres de Genève, fort des récens et glorieux souvenirs de la lutte contre la maison de Savoie. Ce parti fut assez fort pour emporter, en 1538, l’exil de Calvin et de Farel ; mais, au bout de deux ans, la force des choses ramena dans Genève protestante le législateur du protestantisme, et Calvin profita de ce retour triomphal pour accomplir l’établissement définitif de ses réformes religieuses, politiques et administratives.

La lutte recommença bientôt avec un redoublement de violence. Calvin entreprit de déconcerter ses adversaires par l’audace, la promptitude et la vigueur de ses coups. Amied Perrin se déclare contre lui : il fait citer sa femme devant le consistoire comme menant une vie scandaleuse. Le conseiller Pierre Ameaux se permet de qualifier Calvin de très méchant homme : il est condamné à faire amende honorable la torche au poing. François Favre refuse d’être capitaine des arquebusiers, s’il doit y avoir des Français dans sa compagnie : Calvin le fait jeter en prison. Les libertins d’esprit sont plus cruellement traités encore que les libertins politiques. Bolsec est exilé pour avoir défendu le libre arbitre. Pierre Gruet, pour avoir affiché à Saint-Pierre un écrit dans lequel il attaquait les censures du consistoire, est mis à la torture et condamné, pour crime d’irréligion, à avoir la tête tranchée.

Ainsi le sang de Gruet fumait encore à Genève, quand Servet commit la fatale imprudence de s’y arrêter. D’un autre côté, l’opposition contre Calvin était arrivée à son plus haut degré d’énergie, et le parti des libertins venait de remporter contre lui trois avantages notables. D’abord le conseil des deux cents et le conseil-général avaient exclu du petit conseil un certain nombre de partisans dévoués de Calvin pour y substituer plusieurs de ses plus ardens adversaires. Une seconde victoire,

  1. Sur l’établissement de la réforme à Genève, voyez le beau mémoire de M. Mignet (Notices et Mémoires historiques, tome II).