Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les exposa avec plus de développemens à la faculté des lettres. Habitué à se retourner complaisamment vers le berceau des peuples et des littératures, M. Fauriel avait surtout formé son opinion par la comparaison de toutes les poésies populaires. Les principes de Wolf une fois posés, il en démontra la justesse par l’analyse de l’Iliade et de l’Odyssée c’est ce que Wolf avait omis de faire. Plus récemment, dans la chaire de littérature grecque, M. Egger a repris la même tâche avec un égal succès, et peut-être s’est-il placé dans de meilleures conditions d’impartialité en n’apportant avec lui aucun parti pris, et s’en remettant à l’examen des faits qui déterminaient ses convictions en même temps que celles de ses auditeurs[1]. À ces noms nous sommes en droit d’ajouter celui de M. Letronne, et peut-être celui de M. Villemain, autant que l’on en peut juger par quelques paroles soigneusement recueillies. Que n’y pouvons-nous joindre M. Sainte-Beuve[2] ! Une seule protestation sérieuse s’est élevée en France dans ces derniers temps, c’est une thèse de M. E. Havet, bien spirituellement écrite et pensée. On peut regretter seulement que l’auteur ait volontairement borné son point de vue, et, en défiance des paradoxes, se soit trop encouragé dans la sévérité de sa raison. Cette sévérité est agréablement tempérée par les formes épigrammatiques de son style, mais il y a des adversaires contre lesquels les traits s’émoussent ; il faut souvent se défier de l’esprit et quelquefois même du bon sens[3].

S’exerçant à la fois par les livres et par l’enseignement, l’influence de Wolf a été immense. Chez quelques-uns de ses élèves, elle est restée dominante. A leur tête est M. Boeckh, représentant un peu exclusif, comme son maître, de l’école historique. Cette influence se retrouve peut-être avec une plus juste mesure dans les travaux d’Ottfried Müller et de M. Welcker, qui, disciples à la fois de Heyne, de Winckelmann et de Wolf, ont su concilier les droits de l’histoire, de l’art et de la poésie. Dans cette association, la part de Wolf n’est pas la moins belle : il a éclairé ceux qu’il n’a pu convaincre, ceux même qui l’ont combattu ont dû s’inspirer de son esprit ; ce n’est qu’en appliquant ses principes qu’on a pu contester ses résultats. Voici cependant une voix qui s’élève contre cette longue autorité. Un archéologue éminent, mais beaucoup moins réservé dans ses conjectures que ne le feraient croire ses professions de foi, M. Ross, aujourd’hui professeur à l’université de Halle, veut absolument rompre avec la tradition des cinquante dernières années. Le manifeste qu’il a publié en tête de ses Hellenica est un véritable appel à l’insurrection. Il enveloppe Wolf et Niebuhr dans le même anathème. Ce

  1. M. Egger a résumé ses idées sur Homère dans une brochure intitulée : Aperçu sur les origines de la littérature grecque, Paris, 1845.
  2. Voyez un jugement rapide sur Homère dans les Portraits contemporains, t. III.
  3. De Homericorum poematum origine et unitate. Paris, 1843.