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l’ennemi, hors d’état de tenir quelques heures dans une ville mal fortifiée et sans provisions. Un dernier effort allait mettre son frère entre ses mains et le délivrer pour toujours du plus redoutable de ses adversaires. Don Pèdre n’était plus le même homme. Il refusa obstinément de pousser sa pointe. Au lieu d’attaquer Najera, ou tout au moins de l’investir, il retourna brusquement à Santo-Domingo, probablement avec le dessein d’apaiser par quelque expiation la colère de saint Dominique. Cependant don Henri et le comte d’Osuna, attribuant leur salut à la protection divine, s’empressaient d’évacuer Najera pour se jeter en Navarre, suivis de don Sanche, qui parvint à les rejoindre. Leur retraite fut pénible. Les hommes d’armes étaient démontés pour la plupart ; tous avaient perdu leurs équipages, et le nombre de leurs blessés embarrassait encore leur marche. On croit que, s’ils eussent été poursuivis avec vigueur, pas un seul n’eût repassé la frontière. Mais don Pèdre demeurait immobile, et paraissait avoir tout oublié, jusqu’à sa haine. Un moment, il parut sortir de sa léthargie et poussa les fuyards jusqu’à Logroño. Là, le cardinal Gui de Boulogne accourut à sa rencontre, et d’un mot l’arrêta. L’armée, qui marchait remplie d’ardeur, eut ordre de faire halte et de ne plus troubler la retraite de l’ennemi[1]. Dès que le territoire castillan fut évacué par les rebelles, le roi, qui semblait toujours en proie à une hallucination étrange, se hâta de quitter le théâtre de la guerre et de retourner à Séville. Il laissait sur la frontière la plus grande partie de ses troupes sous le commandement des trois maîtres des ordres militaires et de Gutier Fernandez, qui, lorsque l’invasion du comte don Henri eut amené la rupture des conférences de Tudela, s’était mis à la tête d’un corps détaché à Molina.

La défaite de don Henri n’avait pas ébranlé la faveur dont il jouissait auprès du roi d’Aragon, mais elle fit sentir à ce prince la nécessité de mettre un terme, dans son intérêt, à la rivalité qui régnait entre ses lieutenans. Peu de jours après la bataille de Najera, ayant réuni l’infant et le comte de Trastamare, il les obligea de se jurer paix et amitié, et, selon l’usage, un acte solennel fut dressé en témoignage de cette réconciliation. Les mains étendues sur les Évangiles, don Fernand et don Henri se promirent d’abjurer leurs rancunes, et de n’avoir plus d’autre but que le service et l’honneur du roi d’Aragon. Ils s’engagèrent par le même traité à lui révéler toutes les propositions qu’ils recevraient du roi de Castille, et à faire à ce dernier « tout mal, dommage et déshonneur, de bon accord et en toute loyauté[2]. » Je transcris les termes mêmes de ce singulier contrat. En retour, le roi d’Aragon leur renouvela l’assurance de sa protection et la promesse de ne

  1. Ayala, p. 307.
  2. Juran de ayudar a fazer todo mal e danyo, desfacimiento e desonra al rey de Castiella bien e lealment. Pedrola, 11 mai 1360. Arch. gen. de Ar. pergamino, n° 2230.