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jamais traiter avec son ennemi sans stipuler en leur faveur les conditions qu’ils exigeraient.

La sincérité de Pierre IV ne tarda pas à être mise à l’épreuve. Dès le lendemain de cette convention, Bernal de Cabrera, au retour d’une mission auprès du roi de Castille, rapporta l’ultimatum de ce prince. Une seule difficulté, suivant l’ambassadeur aragonais, empêchait la conclusion d’une paix solide ; c’était la révocation demandée par Pierre IV de la sentence de haute trahison rendue par don Pèdre contre l’infant don Fernand et Henri de Trastamare. Le roi de Castille se refusait à leur réhabilitation, et se croyait tellement assuré de son droit, qu’il avait offert à Cabrera de remettre entre ses mains le jugement de l’affaire. Il lui avait proposé de désigner lui-même six arbitres à son choix, parmi les prélats ou les riches-hommes de Castille, et de réviser avec eux la sentence d’Almazan. Peut-être, en faisant une semblable ouverture, don Pèdre comptait-il un peu sur l’inimitié patente qui existait entre ce ministre et les princes castillans ; peut-être encore, comme on le prétendit dans la suite, s’était-il emparé de l’esprit de Cabrera par de puissantes séductions. L’affaire fut portée au conseil secret de Pierre IV ; mais les débats furent arrêtés aussitôt par le roi, qui rappela son serment de ne jamais traiter avec le Castillan sans stipuler des conditions honorables pour les bannis ses alliés. Cabrera, qui s’était toujours montré l’avocat de la paix, dut se soumettre à la résolution de son maître, mais il demanda que sa proposition fût enregistrée et qu’on lui donnât acte de ses efforts pour obtenir un accommodement[1].

Cette fidélité à ses engagemens et ces scrupules tout nouveaux chez Pierre IV s’expliquent assez bien par l’espoir qu’il fondait en ce moment sur une nouvelle alliance. Il traitait alors avec les Maures de Grenade et les déterminait à faire une diversion puissante. Il se flattait de donner bientôt au roi de Castille tant d’occupation en Andalousie, qu’il fût forcé d’abandonner la frontière d’Aragon. La suite du récit montrera que ses calculs étaient justes.

Cependant la fortune semblait maintenant sourire à don Pèdre, et ses armes étaient aussi heureuses sur mer que sur terre. Peu après son arrivée à Séville, un aventurier nommé Zorzo[2], capitaine des arbalétriers de sa garde, envoyé par lui en croisière sur les côtes de Barbarie, amena dans le port quatre galères aragonaises qu’il avait capturées

  1. Arch. gen. de Ar., reg. 1170 Sigilli secreti, p. 165. Attestation délivrée à don Bernal de Cabrera ad suam excusationem, et in testimonium veritatis, 12 mai 1360, sans indication de lieu, probablement à Pedrola ; on a vu que le traité de réconciliation entre l’infant et don Henri est daté de cette ville, le 11 mai 1360.
  2. Ayala, p. 310, dit que cet homme était né en Tartarie, et avait été esclave à Gênes. Zorzo, suivant M. Llaguno, est le nom de Georges en grec vulgaire. C’est une erreur. Ce nom est du dialecte génois. Si Ayala avait figuré la prononciation grecque, il aurait écrit Yorios.