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à deux reprises par l’esprit de nationalité qui coalisa tour à tour avec le clergé contre l’Autriche et la Hollande l’opinion libérale, d’abord alliée de Joseph II et de Guillaume Ier dans leurs essais de résistance au système ultramontain. Après la révolution de septembre 1830, une pareille diversion n’était plus possible ; c’est de Belge à Belge, dans le cercle de la nationalité même, que ce long duel allait se vider. L’intervention d’un élément nouveau contribuait à le rendre plus décisif encore. Le clergé avait compris son temps. Ne voulant pas river ses prétentions au principe décrépit de l’unité despotique, il avait audacieusement appelé le principe contraire, la décentralisation, la liberté dans l’acception la plus radicale. Vainqueur, il ouvrait l’Europe libérale tout entière aux essais de l’utopie néo-catholique, et, à la faveur d’un bizarre accouplement de mots, l’expérience des nations reculait de trois cents ans. Vaincu, il entraînait dans sa chute les dernières espérances de la théocratie. Le théâtre était humble, mais les champions représentaient d’immenses intérêts, d’immenses ambitions.

J’ai raconté déjà[1] comment le clergé belge, servi tour à tour par la crédulité et par les divisions intérieures des libéraux, avait réussi à se faire de la liberté l’instrument de la domination la plus inquisitoriale et la plus absolue. Groupés, en 1841, par M. Rogier autour d’une insignifiante question d’enseignement, les libéraux se mirent enfin à combattre le clergé par ses propres armes, opposant le droit au droit, l’abris à l’abus, les clubs à la chaire, la franc-maçonnerie aux convers, et la réaction marcha dès-lors avec une rapidité foudroyante. Deux ans d’union ont suffi aux débris épuisés de ce parti pour résister au courant catholique, un an pour le refouler, trois ans pour le remonter et s’emparer de la situation. Aujourd’hui que certaine fraction de notre clergé n’est plus réduite à proposer la Belgique pour modèle, ce résultat de l’expérience la plus hardie et un moment la plus voisine du succès qu’aient enfantée les idées modernes peut renfermer d’utiles enseignemens. C’est la condamnation anticipée de la seule pensée d’accaparement et d’exclusion qui puisse être tentée désormais de s’imposer à la France libérale. C’est le 89 de l’avenir. Je ne voudrais nullement réveiller des défiances qui ont vieilli d’un siècle en trois jours. Sur cet océan de libertés qui nous pousse aux rivages d’un nouveau monde, il y a d’inévitables orages ; insensé qui proposerait, pour désarmer l’orage, de tarir l’océan ! mais il est permis d’en signaler les écueils.

Le parti catholique belge a été, du reste, le premier à comprendre que la théocratie était inconciliable avec l’extrême liberté. Il n’a pas essayé de résister titi sent instant sur ce terrain, et s’est réfugié, ses.chefs en tête, dans les idées opposées. Ses derniers actes, comme pouvoir,

  1. Voyez la livraison du 1er octobre 1845.