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rejette nécessairement l’esprit dans la contemplation du passé ; il provoque des comparaisons entre notre époque et les siècles précédens. L’histoire seule peut nous livrer le secret de cette sorte de renaissance, qui appelle aujourd’hui tous les regards sur la papauté. Sa vitalité est-elle inépuisable ? Quelle est donc la vertu de ce pouvoir dont l’essence, les attributions et les fortunes diverses forment un des plus sérieux problèmes de la politique moderne ?

Quand on compare la vie que menaient les premiers chrétiens, la simplicité de leurs mœurs, leur détachement des richesses, à la puissance, à la splendeur de l’église au moyen-âge, et à l’ambition temporelle qu’elle ne craignait pas de proclamer, on pourrait, au premier abord, être tenté de voir dans ce contraste un ironique démenti donné avec audace aux principes mêmes de la religion fondée par la prédication de l’Évangile. Ce jugement, beaucoup d’esprits l’ont porté sincèrement, de nombreux hérésiarques en ont fait la raison décisive de leur insurrection contre l’église. Cependant ni les révolutions qui changent vraiment la face des choses, ni les fortes institutions qui durent, ne sont mises au monde par le génie du mensonge : elles ont toujours pour cause première une foi vive dans le bien et dans la vérité. Non-seulement jamais les hommes n’ont prêté volontairement leur obéissance qu’à un pouvoir qu’ils reconnaissaient pour légitime, mais on n’a jamais osé la leur demander qu’au nom de la raison, et ceux qui l’exigeaient étaient convaincus de leur droit ; autrement ils n’eussent exercé aucun empire sur les ames. C’est dans cette foi commune de ceux qui avaient la puissance et de ceux qui s’y soumirent qu’il faut chercher le nœud de la papauté.

La doctrine du christianisme ne triompha de la civilisation païenne que parce qu’elle fut réputée pour divine par les peuples qui l’embrassèrent. À ce titre, elle contenait toute vérité et devait gouverner le monde. A qui donc le pouvoir devait-il appartenir, si ce n’est à ceux qui la possédaient ? Voilà en deux mots la théorie de la papauté, voilà le droit tel que le comprit l’église. Mais ce droit, comment l’exercer ? Lorsque l’église passa de la persécution et du martyre à l’état de religion dominante, après avoir traversé la liberté des cultes, elle eut à traiter successivement avec deux grandes puissances, les empereurs grecs et les rois francs. Elle fut protégée et contenue par les premiers, elle couronna les seconds et leur jeta sur les épaules la pourpre impériale. La différence était grande. A Constantinople, la religion nouvelle recevait tout de l’empire, et, au milieu des faveurs dont elle était comblée, lui restait soumise. Dans l’Occident, au moment même où elle était secourue par le pouvoir politique, elle le primait, car aux Carlovingiens, à ces usurpateurs heureux, elle communiquait la légitimité : enfin c’était elle qui donnait l’empire.