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de la maison de France, l’inébranlable conviction de la légitimité de sa cause, une indomptable volonté. Ni le triste état de ses finances, ni les obstacles de tout genre qui lui fermaient l’entrée de Rome ne peuvent l’arrêter ; il y parait tout à coup au milieu des bruits qui couraient sur sa mort. De quel mépris il accable Mainfroy, qui n’est pour lui que le sultan de Lucera ! On sent que, dès qu’il se trouve en face de Charles d’Anjou, Mainfroy perd toute contenance ; son assurance ordinaire l’abandonne, et il subit l’ascendant de son adversaire avant de tomber en soldat sur le champ de bataille de Bénévent. Nous sommes là au cœur même du sujet choisi par M. de Saint-Priest, et c’est aussi une des meilleures parties de son livre. Pour la première fois peut-être, le frère de saint Louis obtient dans l’histoire les honneurs du premier plan, et sous le pinceau de l’écrivain cette grande figure a de l’éclat, de la hardiesse, une belle et vigoureuse couleur. Voilà bien un de ces caractères profonds et hautains que la fortune peut éprouver, mais ne brise pas ; un de ces tempéramens politiques qu’un fanatisme sincère élève au-dessus de tous les scrupules, une de ces ames du moyen-âge où brûle un feu sombre et sacré.

Quel est ce jeune homme qui lève imprudemment l’étendard contre le vainqueur de Mainfroy ? Il y a dans l’histoire une poésie inépuisable. Quelle imagination d’artiste, si bien douée qu’on la suppose, eût créé un aussi frappant contraste que celle de ce gracieux adolescent, de cette tête blonde, de ces traits charmans, avec le front pâle et sévère de ce redoutable chevalier que l’église et la victoire avaient fait roi ? La lutte de Conradin et de Charles d’Anjou est un des plus pathétiques événemens de l’histoire du moyen-âge. Elle est devenue un thème littéraire souvent exploité. Ici elle prend un intérêt nouveau par l’abondance et la vérité des détails. Ce n’est pas sans une sorte d’émotion qu’on suit, dans la narration de M. de Saint-Priest, toutes les circonstances de la vie de Conradin, vie si pleine d’illusions et si tôt interrompue. Ce dernier représentant de la maison de Souabe fut élevé dans l’espoir d’une couronne et dans une sorte de pauvreté. Ses parens se partagèrent les lambeaux de ses états héréditaires dans les contrées rhénanes, et il n’eut plus de refuge contre la misère qu’un trône qu’il fallait conquérir. Il partit pour l’Italie après avoir adressé aux souverains de l’Europe un manifeste dans lequel il leur demandait d’intervenir par des lettres auprès du pape, afin que le saint-père calmât la fureur et l’indignation dont il était animé contre lui. Qui donc, de Conradin ou de Charles, avait la meilleure cause ? « Entre l’aigle et la fleur, disaient les troubadours cités par M. de Saint-Priest, le droit est si égal, que ni Pandectes ni Décrétales n’ont rien à faire à tout ceci. Rien ne sera décidé que par épées et lances qui briseront têtes et bras. » Comme Charles d’Anjou, Conradin eut aussi une solennelle entrée dans