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de l’Italie, compare les deux nations à deux époux d’un caractère différent : le mari (c’est le peuple allemand) est plein de force et de courage, la femme (c’est l’Italie) est pleine de ruse et d’adresse ; ils ne peuvent se quitter, ils s’appartiennent, et cependant ils ne cessent de s’irriter mutuellement et de remplir la maison du bruit de leurs querelles. N’en déplaise au docte historien, ce mariage est aujourd’hui bien compromis : la femme veut le rompre. Son amant, le peuple français, qu’elle a souvent pris et quitté, ne peut qu’être enchanté d’un pareil divorce.

Enfin, aux qualités qui distinguent l’Histoire de la conquête de Naples vient se joindre un dernier mérite, celui de l’à-propos. Cette Italie inquiète et frémissante, que semble agiter maintenant l’ardeur du patriotisme, qui fut la muse d’Alfieri, nous la retrouvons tout entière dans le livre de M. de Saint-Priest avec les passions et les partis qui la divisaient au moyen-âge. Le fond persiste sous les transformations et les costumes dont nous avons aujourd’hui le spectacle. Les événemens et les révolutions du XIIIe siècle font mieux comprendre ce qui se passe de nos jours à Naples et en Sicile. Tout s’enchaîne. Les Siciliens ne font-ils pas remonter à Frédéric III d’Aragon la vieille constitution dont ils réclament aujourd’hui le rétablissement avec des garanties nouvelles ? Ne revoyons-nous pas de nos jours le même antagonisme entre Naples et Palerme ? La papauté n’est-elle pas encore au milieu des combattans comme elle l’était au moyen-âge ?

Au moment où se termine le livre de M. de Saint-Priest, à la fin du XIIIe siècle, la décadence rapide et profonde de ce pouvoir qui était parvenu à dominer les rois et les peuples commença. Pour qu’un pareil pouvoir restât à la hauteur où il était monté, il eût fallu que tous les papes eussent du génie, qu’ils ne connussent que les saintes passions du dévouement et de la foi, et qu’enfin l’enfance des sociétés modernes fût éternelle. La papauté trouve dans Avignon sa captivité de Babylone, pour parler le langage de Pétrarque ; l’anarchie la dégrade, l’église elle-même, que représentent des conciles, combat parfois son autorité ; enfin, au-dessus de ce chaos, Luther montre sa tête puissante. Ce vaste naufrage fut donc amené tout ensemble par la corruption des hommes et par les progrès du genre humain. Il fallut réparer tant de ruines, et nous avons alors le spectacle de cette longue et habile défensive qui est un des principaux caractères de la politique pontificale depuis Charles-Quint jusqu’à Napoléon. Nous ne recommencerons pas l’appréciation que nous avons déjà faite ici[1] des efforts et des talens déployés par les papes qui se succédèrent pendant le XVIe et le XVIIe siècle ; mais avec quel art la papauté, poursuivant toujours le même but, change, suivant les circonstances, de moyens et

  1. La Papauté depuis Luther. — Revue des Deux Mondes, 1er avril 1838.