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n’était pour nos aïeux du XIVe siècle qu’un trait d’audace ; et si l’on ne peut dire que la nature humaine se soit perfectionnée, du moins doit-on rendre grâce à la civilisation d’avoir diminué la masse des malheurs matériels en diminuant le pouvoir de mal faire.

Peu après les événemens que je viens de raconter, don Pèdre réunit à Almazan les principaux de ses capitaines, et là, voulut bien exposer ses griefs contre Gutier Fernandez et Gomez Carrillo. « Le premier, dit-il, pendant son séjour à Tudela, avait eu des relations coupables avec plusieurs rebelles, notamment avec Perez Sarmiento, dont la trahison avait causé le désastre d’Araviana. En outre, il avait adressé à l’infant d’Aragon des propositions contraires au devoir d’un vassal et dangereuses pour l’état. Quant à Carrillo, placé dans un poste de confiance sur la frontière ennemie, il n’avait pas cessé de voir ses parens, serviteurs dévoués du comte de Trastamare[1]. » En s’expliquant de la sorte devant ses courtisans, le roi ne cherchait pas à justifier sa conduite ; c’était une leçon qu’il voulait leur donner ; surtout il tenait à montrer que ses espions étaient vigilans et que rien n’échappait à ses regards.

Don Vasco, frère de Gutier Fernandez, était archevêque de Tolède. Le roi le croyait complice de la conjuration qu’il prétendait avoir découverte. Il lui envoya un ordre d’exil. Telle était la terreur qu’il inspirait alors, que pas une voix ne s’éleva dans Tolède pour réclamer contre le bannissement d’un homme que ses mœurs irréprochables et son édifiante piété avaient rendu cher à tout son troupeau. Les commandemens du roi commençaient à s’exécuter avec toute la rigueur, avec toute la ponctualité du despotisme musulman. A l’issue de la messe, on signifia à l’archevêque qu’il eût à partir sur-le-champ pour le Portugal, et sans lui laisser le temps de prendre quelque bagage, ou même de changer de costume, on le conduisit hors de la ville, et de là, à grandes journées, jusqu’à la frontière. Deux ans après, don Vasco mourut en odeur de sainteté à Coimbre, dans le monastère de Saint-Dominique, où il avait choisi sa retraite, et le roi, à la prière de ses parens, permit que son corps fût transporté à Tolède et reçût la sépulture dans la cathédrale[2].

Quatre jours après le départ de son archevêque, la ville de Tolède fut témoin d’un autre revers de fortune. Le trésorier du roi, don Simuel et Levi, autrefois le compagnon de sa captivité à Toro, et depuis son ministre et son confident, fut tout à coup jeté en prison. Le même jour, et dans tout le royaume, on arrêtait ses parens et ses employés. Le crime de Simuel était sa prodigieuse fortune, et, dans un temps où les ressources du commerce et de l’industrie étaient si mal connues,

  1. Ayala, p. 317.
  2. Ibid., p. 320.