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de la prison sans même penser à son salut, et se laisse prendre au jour sur la grande place de Wilna. Il disparut bientôt, ses complices furent cruellement punis ; mais une admiration presque religieuse pour le martyr polonais s’est perpétuée chez les Russes ; ils disent encore « Muet comme Konarski. »

Cette muette constance, Konarski la garda sur l’échafaud. Le jour de son exécution, l’émissaire Zaleski, celui qui avait partagé tous ses dangers, le brave dont la tête était mise à prix comme la sienne, Zaleski, déguisé en cocher, conduisait la voiture du général qui commandait la barbare solennité. Un geste apprit au héros que son ami était là pour le voir mourir et continuer sa passion. Il s’agenouilla, criant de toute la force qui lui restait : « La Pologne vit encore ! » La nuit qui suivit, les officiers russes allèrent chercher son cadavre et le déposèrent en terre consacrée ; ils prirent les chaînes qu’on ne lui avait ôtées ni pour l’exécuter ni pour l’ensevelir, et de ce fer sanctifié l’on fabriqua des anneaux qu’ils portèrent en mémoire du supplicié.

Trynkowski était au premier rang dans l’affiliation démocratique de Konarski. Chanoine et prédicateur de la cathédrale de Wilna, orateur populaire, écrivain passionné, il exerçait une immense autorité sur les masses. Quand on sut qu’il était en prison, il y avait tous les jours à la cathédrale des centaines de pauvres qui venaient pleurer leur « apôtre. » La perfidie russe inventa pour lui une destinée plus douloureuse que les pires tourmens. Un bruit sinistre fut tout d’un coup répandu, repoussé d’abord avec indignation, accueilli peu à peu avec désespoir. On racontait que Trynkowski avait fait les aveux les plus étranges, qu’il s’était reconnu coupable des plus odieuses et des plus sales actions. L’apôtre divinisé par la foule confessait à ses juges la vie d’un brigand. On aurait voulu douter : les juges montraient à leurs amis les interrogatoires signés de la main du prêtre déshonoré. Son nom était pour toujours avili, et le peuple de Wilna ne le prononçait plus qu’avec des malédictions, lorsque, après une disparition de deux ans, on le vit un jour errer le long des rues. On l’aborde, on lui parle, on lui demande comment il est libre. Le malheureux répond sans comprendre ; il avait perdu la raison ; il était fou depuis le premier jour de son emprisonnement, et c’étaient les divagations d’un fou que la justice russe avait enregistrées comme l’expression spontanée des remords d’un scélérat. La surveillance des geôliers s’était par hasard un seul instant relâchée, et l’insensé apparaissait ainsi à la lumière, comme s’il fût sorti du tombeau pour flétrir à son tour ceux qui l’avaient si lâchement flétri. Trynkowski, réintégré dans son cachot, alla bientôt mourir en Sibérie.

Il était bon que ce fût un prêtre qui travaillât à propager la fraternité des démocrates dans la dévote et mystique Lithuanie. Dans la Gallicie,