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de la proportion qui existait entre l’offre du travail et la demande ; mais elle a oublié de nous avertir que le salaire n’était pas une marchandise comme une autre, et que, dans les momens où l’offre des bras excédait trop largement la demande, la prévoyance des gouvernemens devait venir en aide, dans une certaine mesure, aux infortunes privées. La société est une espèce d’assurance mutuelle que la force collective établit pour diminuer et pour protéger la faiblesse de chacun ; il ne faut pas cependant qu’elle dispense les individus de prévoir et d’agir, ni qu’elle ait la prétention d’accomplir, eu prévenant tous les malheurs partiels, ce qui n’est pas au pouvoir de l’humanité et ce que n’a pas voulu la Providence.

« La concurrence, dit M. Louis Blanc, est la guerre dans l’ordre des intérêts. » Non, ce n’est pas la guerre : c’est la lutte, c’est l’émulation, c’est l’effort, c’est la condition même de l’existence. Il y a des gens qui croient que l’harmonie résulte du silence des passions et de l’immobilité des forces. Je considère ceux-là comme les bonzes de la pensée. Qu’ils jettent les yeux cependant sur le monde physique : n’est-ce pas la tempête qui purifie l’atmosphère, le flux de l’océan qui empêche la corruption des eaux, la lutte des élémens, en un mot, qui produit l’harmonie ? Le monde moral obéit à une loi semblable ; il a deux pôles, l’intérêt et le devoir, autour desquels gravitent l’homme et la société ; l’un qui suscite l’émulation des intelligences et des forces, l’autre qui les règle et les modère pour empêcher que la lutte ne devienne un combat.

Nous n’apercevons pas, au surplus, dans le régime de la concurrence, cette fatalité qui livre le faible aux coups du fort, de même que certains animaux, dans la création, sont destinés à devenir la proie des autres. La liberté développe toutes les facultés de l’homme et lui donne cette énergie qui dompte les obstacles. Les peuples les plus industrieux, les plus commerçans et les plus riches ne sont-ils pas ceux à qui le climat et le sol qu’ils habitent ne donnent que des difficultés à surmonter ? Les Anglais ne vont-ils pas chercher le coton en Amérique, et les Hollandais n’ont-ils pas à disputer aux vagues de l’Océan la terre qui les porte ? M. Louis Blanc prétend que, dans l’industrie comme à la guerre, la victoire appartient aux gros bataillons, c’est-à-dire aux gros capitaux. Qu’il nous explique donc comment il se fait que les manufactures de la Suisse, que ne protège aucune ligne de douane, luttent avec succès contre la puissance industrielle de l’Angleterre, et comment la bonneterie allemande, industrie morcelée et pauvre, trouve un débouché pour ses produits jusqu’au centre de la production similaire, à Nottingham et à Manchester.

On remarquera que plus la liberté est complète et plus le champ du travail s’étend, moins se font sentir les inconvéniens de la concurrence. Pourquoi ces inconvéniens sont-ils plus sensibles, par exemple,