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Aujourd’hui, cette nouvelle hésitation de sa muse, en face de la comédie réelle, aura servi à son succès loin de le compromettre. Le public, qui se serait vu à mille lieues d’une comédie de mœurs contemporaines, s’est senti plus à l’aise avec une œuvre toute d’imagination qui, n’étant précisément d’aucune époque, peut également convenir à toutes.

L’Aventurière a le mérite de pouvoir se raconter en quelques lignes. Clorinde, une femme perdue, moitié actrice, moitié courtisane, accompagnée d’une espèce de bravo, qu’elle fait passer pour son frère, s’est introduite chez un honnête vieillard à qui elle a inspiré une de ces passions d’autant plus insurmontables qu’elles sont plus insensées. Résolu à l’épouser et ne reculant devant rien pour assouvir son amour, le vieux fou se brouille avec toute sa famille et rompt un projet d’union entre sa fille et son neveu, qui s’aiment depuis l’enfance. Telle est la situation, lorsqu’arrive son fils aîné, Fabrice, parti de la maison en enfant prodigue, il y a quelque dix ans, et revenant avec cette soif de repos qui saisit, au premier déclin de la vie, les hommes long-temps livrés aux hasards d’une jeunesse turbulente. Fabrice apprend tout, et il se propose de dessiller les yeux de son père. Rien n’y fait d’abord, ni les indiscrétions du matamore, ni les séductions de Fabrice, qui, à la faveur d’un déguisement et d’un quiproquo, a détourné à son profit les dispositions matrimoniales de l’aventurière. Alors il se relève, et, au lieu de continuer à feindre, il écrase de sa colère et de ses mépris la courtisane tremblante, foudroyée par ce langage si rude et si nouveau pour elle. Un sentiment inconnu s’empare de Clorinde ; sympathie mystérieuse pour cet homme qui lui parle si durement et si haut, honte de sa vie passée, vague désir de réhabilitation, tout se mêle et se confond dans son cœur. Elle quitte, à demi purifiée, cette maison où elle est entrée en intrigante, et sa retraite volontaire rend le vieillard à sa famille et à l’honneur.

On le voit, ce sujet n’a rien de bien original ; mais il offrait plusieurs aspects comiques que l’auteur n’a fait qu’effleurer. Le vieillard amoureux, la courtisane réhabilitée par une passion vraie, sont des types que le théâtre nous a souvent montrés. Ce qui appartient plus spécialement à M. Augier, c’est le rôle de ce Fabrice, de cet homme fatigué de désordres, chez qui se réveillent, après les années mauvaises, le sentiment du devoir et le désir de la vie paisible. Ce caractère, mis en regard de celui de la courtisane, aspirant, elle aussi, à sortir de sa fange, rêvant, moins par fatigue que par vanité, l’atmosphère sereine d’une vie régulière et respectée, aurait pu donner lieu à de saisissans contrastes, à de fines nuances qui, sous une plume délicate, eussent offert à la fois tout le charme d’une poésie sincère et tout l’intérêt d’une situation comique. Par malheur, la résolution, le parti pris d’aller en avant et de demander à son sujet tout ce qu’il pouvait rendre, a fait défaut à l’auteur de l’Aventurière. Au lieu de se décider et de peindre délibérément ou l’entraînement amoureux du vieillard, ou les luttes intérieures de la bohémienne, entraînée vers la vertu par une sorte d’instinct féminin, rejetée vers le vice par les mépris du monde, ou enfin l’entreprise hardie de cet homme rompu aux roueries des courtisanes, et faisant servir une expérience chèrement acquise au triomphe du bien, au bonheur de sa sœur, à l’honneur de son père, M. Émile Augier a hésité entre ces comédies, et de ces trois études juxtaposées il a fait un ensemble rempli d’agréables détails, d’attrayantes perspectives, mais auquel manquent la décision et l’unité. La comédie