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le droit d’indiquer l’emploi de cette libéralité, et d’exiger, par exemple, que chaque ouvrier versât une certaine somme à la caisse d’épargne, afin de s’assurer une pension viagère pour ses vieux jours.

« J’ai la ferme conviction que le premier fabricant qui aura le courage d’appeler ceux qu’il emploie au partage de son gain annuel ne fera pas, en résultat, un sacrifice. Il est clair que cette concession attirera auprès de lui les meilleurs ouvriers, que le travail s’accomplira avec plus de soin et de zèle, et que les produits gagneront en quantité ainsi qu’en qualité. Il s’établira, de cette manière, entre les ouvriers et les maîtres une solidarité intime à l’épreuve du temps et des circonstances. Ceux qui auront partagé la bonne fortune de la maison s’associeront plus volontiers à ses revers, et le poids des mauvais jours s’allégera, lorsque chacun en voudra prendre sa part. Les coalitions cesseront du côté des ouvriers, car elles n’auront plus d’objet. La cheminée de la manufacture deviendra comme le clocher de la nouvelle communauté, et les bohémiens de la civilisation industrielle auront enfin une patrie, un foyer. »


L’association des ouvriers avec les chefs du travail, association qui est l’avenir même de l’industrie, perd ce caractère réparateur dès que le contrat cesse d’être volontaire. Je ne la comprends que dans la plus entière liberté ; elle devient impraticable et contraire à l’équité dès qu’elle s’impose. La compagnie d’Orléans admettait déjà les employés de son administration à participer aux bénéfices de l’entreprise. Les ouvriers de ses ateliers en réclament aujourd’hui leur part. Les ouvriers du chemin du Nord, qui faisaient valoir les mêmes prétentions dans une attitude menaçante, ont forcé la main à la compagnie. A quel titre et en vertu de quel droit ? C’est ce que l’on peut examiner.

Dans le colonage partiaire, le métayer a droit à la moitié des fruits que produit le sol cultivé par ses soins. Pourquoi cela ? Parce que, dans cette association, le travail et le capital courent les mêmes chances. Le métayer ou colon ne reçoit pas de salaire ; il n’est rémunéré de sa peine que par le prélèvement qu’il fait sur les produits. Le propriétaire, de son côté, ne touche pas l’intérêt du capital que représentent la terre, les bâtimens d’exploitation, les instrumens aratoires et les bestiaux. Ainsi, le travail et le capital s’associent sur le pied d’une égalité parfaite. Comme ils s’exposent aux mêmes pertes, ils ont un droit égal au partage des bénéfices ou plutôt des produits bruts.

Mais, dans l’industrie manufacturière, le travail est à l’abri de tous les risques auxquels le capital se trouve exposé. Que le chef d’atelier fasse des pertes ou des profits, l’ouvrier n’en perçoit pas moins tous les jours la rétribution de sa main-d’œuvre. Le salaire est privilégié, et il doit l’être. Le salaire, représentant l’existence de chaque famille, ne peut pas dépendre de la bonne ou de la mauvaise issue d’une spéculation qui n’a pas pour base, comme l’agriculture, le retour périodique et certain des moissons. Précisément aussi parce que le salaire est prélevé, par privilège, sur les produits, le travail ne saurait être rangé sur la