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fois ennemis. Il y a eu les politiques et les socialistes, ceux qui ambitionnaient, avant tout, la ruine de l’institution monarchique, ceux qui rêvaient un changement bien autrement radical dans l’existence même de la société. Tandis que les premiers se prêtaient à l’amiable au système parlementaire et se résignaient à communier assez fraternellement avec les personnages possibles du régime déchu, les autres, plus farouches, touchaient à peine du bout du pied le seuil des chambres, et correspondaient avec les réformateurs de toutes les sectes, en descendant d’échelons en échelons jusqu’aux plus intimes profondeurs du royaume d’utopie. Au plus haut de l’échelle, à la limite de notre monde, ces démocrates radicaux entretenaient un seul représentant, qui avait planté leur drapeau sur la tribune même du pays légal ; on se rappelle avec quelle audace, la lance au poing et la visière levée. Les radicaux, ainsi représentés, vivaient, on s’en souvient, en assez mauvaise intelligence avec le groupe des politiques qui leur paraissait un peu le vulgaire de la démocratie. Les purs républicains politiques n’avaient pas toujours l’avantage dans leurs rencontres ou publiques ou privées avec les républicains socialistes. Lorsque la révolution de février vint tous les surprendre, de part et d’autre ils devaient être encore émus d’une chaude dispute qui avait eu alors beaucoup de retentissement. La question du communisme, s’étant trouvée posée par hasard entre les deux camps, avait soulevé une discussion qui, commencée avec éclat, s’était terminée sur un terrain assez personnel pour qu’il y ait indiscrétion à l’y suivre.

Si délicats qu’ils fussent, ces rapports ne pouvaient cependant manquer de se resserrer sous la pression des événemens. Les événemens portaient au pouvoir par une même nécessité et la fraction ardente, qui tenait le mieux dans sa main les fils conducteurs des masses, et la fraction plus modérée, qui n’avait jamais cessé d’être en contact avec la bourgeoisie. Il fallait bien s’accorder pour avoir quelque force, et cependant, dès les premiers jours du gouvernement provisoire, on parla de tous côtés des dissentimens qui éclataient dans son sein. Nous croyons sage d’ignorer ces divisions intestines, et nous aimons mieux admettre que, ceux qui penchaient vers les exagérations socialistes ayant tempéré leur zèle, ceux qui méprisaient par trop le problème social, pour parler la langue du jour, ayant abdiqué leur indifférence, le gouvernement est entré tout entier dans une voie de concessions réciproques, où rien n’a été fait sans le consentement et la responsabilité de tous ses membres.

Qu’est-il arrivé cependant ? On a laissé crier et propager partout cette devise où il y a plus de péril que de sens, à savoir que la révolution de février était une révolution sociale. Il n’y a point de révolution sociale dans un pays où il n’y a point de castes, et il n’y a point de castes en France, à moins qu’on ne dise, comme dans certains clubs, la caste des propriétaires. Il n’y a point de révolution sociale dans un pays dont on pourra bien fouiller tous les abîmes sans en tirer jamais un Spartacus ou un Szela. La France était placée, par toutes ses institutions civiles, sur la pente même de la démocratie ; on avait essayé de lui barrer le chemin ; au lieu de rétrograder, elle a précipité sa marche en inaugurant la république ; mais rendre la dignité de citoyen plus facile à conquérir, répandre plus équitablement l’instruction et le bien-être en même temps que la liberté, élever le plus d’individus possible à la conscience de leurs droits et de leurs devoirs publics, inviter enfin le pays à se gouverner lui-même dans