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formes plus simples, c’est de supprimer d’un seul coup tous les droits à la sortie. Le produit de ces droits n’allant jamais à deux millions par an (1,900,000 fr. en 1846, 1,600,000 en 1845), le sacrifice pour le trésor serait fort peu sensible, et ce serait pour le service de la douane, aussi bien que pour les opérations du commerce, un grand soulagement. Y a-t-il par hasard quelque considération sérieuse d’intérêt particulier ou général qui s’oppose à l’application d’une telle mesure ? Aucune. Les articles dont on paraît tenir le plus à entraver la sortie sont, d’abord, quelques matières premières, que l’on croit devoir réserver à nos manufactures, comme, par exemple, les soies brutes, frappées d’un droit de 2 à 6 fr. le kilog. selon l’espèce, et les drilles et chiffons, dont on prohibe même l’exportation dans l’intérêt de nos fabriques de papier. Ce sont, en outre, les engrais, qu’on veut faire rester dans le pays, afin d’en réserver l’emploi à nos manufactures. Avec un peu de réflexion, il ne sera pas difficile de comprendre combien ces mesures atteignent mal le but qu’on se propose.

Quant aux soies brutes, en entraver l’exportation par des droits, c’est tout simplement en restreindre la production à l’intérieur, et par conséquent travailler contre les intérêts mêmes de la manufacture que l’on prétend favoriser. On s’imagine qu’en mettant des entraves à la sortie des soies, on en laisse une plus grande quantité disponible pour l’usage de nos propres fabricans. Le calcul serait juste peut-être si la production de la soie était rigoureusement déterminée et limitée dans le pays, de manière qu’elle ne fût susceptible ni d’augmentation, ni de diminution. Alors on pourrait dire en effet : La France produit telle quantité de soie brute, il en faut tout autant pour nos manufactures ; donc nous n’avons rien de mieux à faire, puisqu’il nous plaît cette fois de favoriser le travail manufacturier aux dépens des classes agricoles, que de réserver à nos manufactures, au moyen d’entraves à la sortie, toute la quantité produite. Mais, comme la production intérieure est, au contraire, très susceptible d’augmentation ou de diminution, et comme, par la force des choses, elle se proportionne toujours à l’étendue du débouché, tout ce calcul manque de hase. En entravant l’exportation, vous limitez la production ; vous diminuez par conséquent les ressources du marché, au grand dommage des manufacturiers mêmes, dont l’intérêt évident est que ces ressources augmentent, puisque, se trouvant sur les lieux, ils ont toujours, après tout, la préférence et le choix. Ainsi, votre mesure, nuisible autant qu’injuste à l’égard des classes agricoles, est en même temps nuisible à ceux qu’elle prétend servir ; l’agriculture et la manufacture en souffrent à la fois. En fait, les manufacturiers en soieries n’ont pas demandé l’établissement des droits de sortie sur les soies brutes, et aujourd’hui surtout ils sont loin d’en réclamer le maintien, plus judicieux en cela que leurs maladroits amis ; mais ce n’est