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leurs droits, donnons-leur l’exemple du respect pour la propriété et de la fidélité des transactions ; au lieu de séparer leurs intérêts des nôtres, tâchons au contraire de les rapprocher, de les confondre. Cette politique n’est pas seulement plus libérale, plus humaine, plus digne d’un peuple civilisé, elle est encore plus habile et plus sûre.

Laissons les campagnes aux indigènes ; c’est leur lot. L’Arabe et le Kabyle sont les paysans de l’Afrique ; eux seuls peuvent soutenir la lutte contre cette forte nature qui est leur mère, et dont la rudesse leur est connue. Où peut vivre et prospérer un indigène, un Français périrait cent fois. Une poignée de blé, une datte, quelquefois même un fruit âpre et sauvage cueilli dans le désert et inconnu des Européens, suffisent à sa nourriture ; un sale et méchant burnous lui sert de vêtement été comme hiver, une tente grossière le satisfait comme abri. Qu’il puisse seulement se construire une cabane, il est heureux ; cette pauvre hutte, dont un Européen ne voudrait pas pour son bétail, comble tous ses désirs. Ce qui est pour lui un progrès inestimable serait pour tout autre une intolérable extrémité. Habitué à souffrir, il ne comprend pas d’autre existence que la sienne, et il a contre les maux de la vie les deux grandes armes de l’Orient : les rêves de la superstition et la croyance à la fatalité.

La population indigène se compose de deux à trois millions d’individus. Ce sont là sans doute des travailleurs à leur manière, mais ce sont des travailleurs, pour la plupart du moins. Dès qu’on a pu pénétrer dans les détails de leur organisation commerciale et agricole, on ne l’a pas trouvée aussi barbare qu’on s’y attendait. L’Algérie, on le sait, se partage en deux larges bandes, le Tell et le Sahara ; l’Arabe du Tell est sédentaire et agriculteur, il produit surtout des céréales ; l’Arabe du Sahara est nomade et pasteur, il élève des troupeaux. À des époques déterminées, de grandes foires s’établissent sur les limites du Tell et du Sahara, et les deux populations s’y rendent pour échanger leurs produits. Un autre échange s’établit par les mêmes voies entre les villes des oasis de l’intérieur, qui produisent des étoffes et des dattes, et les deux grandes populations rurales. Ces formes commerciales, si primitives qu’elles soient, attestent un régulier mouvement d’échanges qui suppose une assez grande production.

Leur agriculture, pour être imparfaite, n’est pas sans résultats. Non seulement l’Algérie produisait autrefois assez de blé pour se nourrir, mais elle en fournissait encore à l’exportation ; elle exportait aussi quelques autres denrées comme la laine, l’huile, la cire, les peaux, etc. Le Kabyle surtout est un producteur intelligent et actif, et les villages de la grande Kabylie ressemblent beaucoup, pour l’aisance qui y règne, pour les cultures qui les environnent, à des villages d’Europe. La guerre a interrompu en beaucoup de points le travail, beaucoup de bestiaux