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Quant à la Romagne, la terre classique des insurrections, l’occupation française, plus prolongée dans cette province que dans les autres régions du centre, y avait laissé des germes profonds de liberté. Nulle part l’éducation politique n’était aussi avancée que dans les légations. Il est vrai de dire que cette éducation avait été faite et perfectionnée à une dure école, et que l’expérience des Romagnols s’était mûrie dans de douloureuses épreuves. Le régime papal, pesant et arbitraire dans le reste des états pontificaux, s’était fait odieux et barbare en Romagne. Depuis 1832, les commissions militaires y siégeaient en permanence et décimaient les populations par la mort, les galères, les prisons, l’exil. L’anarchie y était organisée et entretenue par les légats, comme ressort de gouvernement, au moyen des bandes de sanfédistes enrégimentés sous le nom de centurioni ou volontaires pontificaux[1] ; en un mot, la domination de l’Autriche en Lombardie semblait clémente et douce à côté de celle du pape, car elle offrait au moins une certaine régularité dans l’oppression. C’est sur cette population énergique et indomptable de la Romagne que se portèrent surtout les efforts des libéraux. En 1844, après l’échauffourée malheureuse de Rimini, M. d’Azeglio parcourut pendant plusieurs mois les légations, s’arrêtant dans chaque ville, dans chaque bourg, prêchant la résistance légale au gouvernement, et recueillant les plaintes et les griefs, faisant, en un mot, une véritable enquête sur la situation de cette malheureuse contrée. La statistique qu’il dressa était effrayante. Dans une brochure qui eut un grand retentissement d’un bout à l’autre de l’Italie, il éleva courageusement la voix pour la défense des Romagnols ; il signala avec indignation à toute l’Europe civilisée ce despotisme inepte, inspiré et soutenu par l’Autriche, et les maux dont les sujets du saint-siège devaient encore moins accuser la cour de Rome que les conseils machiavéliques des agens de M. de Metternich. L’auteur des Casi di Rimini fut poursuivi, obligé de se cacher après cette levée de boucliers contre le gouvernement de Grégoire XVI. Il n’avait pourtant dit que l’exacte vérité, et plus tard, la première fois qu’il se présenta devant le nouveau pape, l’ancien évêque d’Imola, qui avait pu voir et juger de ses propres yeux les maux de la Romagne, s’est contenté de lui dire avec bonté : « Vous avez été un peu dur pour mon prédécesseur. »

Il s’en fallait que les libéraux crussent au triomphe prochain de leurs idées. Pour la plupart d’entre eux, l’opinion de M. Gioberti, qui plaçait dans la papauté l’espoir de la nationalité italienne, semblait quelque peu chimérique. Une telle défiance était légitime, aussi long-temps au moins que ce gouvernement persisterait dans la voie fatale où depuis trois règnes il se trouvait de plus en

  1. Ces volontaires, célèbres dans toute l’Italie, se nommaient aussi Faentini et Borghettini. C’était le rebut de la population, et ils se recrutaient principalement à Faenzar petite ville où des haines séculaires, armant depuis un temps immémorial les habitans de la cité contre ceux du faubourg, avaient engendré une race d’hommes prompts aux querelles et accoutumés au meurtre. La cité de Faenza professait des opinions libérales ; le Borgo, par opposition, était sanfédiste, et l’administration du saint-siège, exploitant ces rivalités barbares, avait fait du Borgo di Fuenza une pépinière de coupe-jarrets dévoués à attaquer dans l’ombre et à frapper par derrière quiconque leur était désigné comme libéral, franc-maçon ou carbonaro. Ces derniers restes des bravi ont encore joué un rôle à Rome dans la fameuse conspiration du 16 juillet 1847.